Ukraine : Stepan Bandera, l’imposture d’un héros européen !
Monument à Bandera à Lvov

Ukraine : Stepan Bandera, l’imposture d’un héros européen !

Qu’on ne vienne pas raconter des histoires sur la personnalité de Stepan Bandera ! La propagande ukrainienne le présente comme un héros antinazi et européen au prétexte qu’il aurait été emprisonné sur ordre d’Adolf Hitler. Mais à ce compte, on pourrait tout aussi bien présenter Ernst Röhm, le chef sinistre de la Sturmabteilung (SA) hitlérienne, comme un démocrate libéral et antinazi sous prétexte que le Führer l’a fait assassiner !

En réalité, si Bandera fut effectivement emprisonné dans les conditions très favorables du quartier des hautes personnalités politiques du camp de Sachsenhausen[1], près de Berlin, ce n’était pas à cause de son opposition au nazisme, mais parce qu’il voulait créer un État ukrainien indépendant sous l’égide de son Organisation des Nationalistes ukrainiens (OUN-B) en coopération étroite « avec la Grande Allemagne nationale-socialiste, sous la direction de son chef Adolf Hitler », comme l’affirmait la proclamation d’indépendance du 30 juin 1941, à Lvov[2].

Le problème était que Hitler n’avait aucune intention de laisser installer une Ukraine indépendante sur ces territoires qu’il voulait réserver aux colons allemands dans le cadre de sa politique de Lebensraum. Bandera était donc un empêcheur de coloniser tranquille qui devait être écarté, mais avec des ménagements dus à son utilité et, évidemment, sans lui infliger le sort de Röhm.

Cela n’empêcha pas l’OUN-B (B pour Bandera) de continuer à combattre aux côtés des nazis et de les seconder – voire de les devancer – dans les pires besognes. En dépit des divergences politiques, les généraux de la Wehrmacht voyaient Bandera et son groupe comme des soutiens importants dans l’invasion de l’Ukraine soviétique : ils parlaient la langue, disposaient de réseaux et pouvaient faire pencher une partie de la population en faveur des Allemands contre les oppresseurs communistes. L’utilité de ces hommes dans des activités d’espionnage et de subversion n’échappa pas à l’Abwehr, le renseignement militaire, qui fit en sorte de financer Bandera à hauteur de 2,5 millions de Reichsmark.

Ce fut d’ailleurs grâce à l’aide de l’Abwehr que, au printemps 1941, à la veille de l’invasion, Bandera créa une ébauche d’armée, la Légion ukrainienne, forte de deux bataillons, Nachtigall (« Rossignol ») et Roland, placés sous commandement allemand. Lors du lancement de l’opération Barbarossa, Nachtigall fut engagé en Galicie avec la Wehrmacht alors que Roland participa aux opérations roumaines en Bessarabie.

Les massacres de masse – l’« holocauste par balles » – se déroulèrent à mesure que les troupes allemandes avançaient en Galicie et en Volhynie, régions où se manifestait le nationalisme ukrainien le plus exacerbé, avant de déferler sur le reste de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Le ressentiment populaire contre les Juifs contribua à faciliter l’horrible travail des Einsatzgruppen (les « groupes d’intervention »), unités mobiles d’extermination du Troisième Reich.

Début juillet 1941, le massacre de Lvov, avec la participation active du bataillon Nachtigall, fit quelque 4 000 morts. Et ce ne fut là qu’un pogrom parmi d’autres. On estime à quelque 25 000 le nombre de victimes juives, en Galicie et Volhynie dans les deux mois qui suivirent l’invasion. Après la prise de Kiev, les 29 et 30 septembre, 33 771 Juifs furent rassemblés et exécutés dans le ravin de Babi Yar, proche de la ville, avec la participation plus qu’active de la Ukrainische Hilfspolizei, la police auxiliaire ukrainienne formée de volontaires. Babi Yar servit de lieu d’exécution jusqu’à la retraite allemande. Le nombre total de victimes fut supérieur à cent mille. Au début, elles étaient pratiquement toutes juives puis, en fonction des circonstances, on liquida là indifféremment Polonais, Russes, Ukrainiens, Tsiganes, communistes ou malades mentaux.

En mars 1942, les bataillons bandéristes Nachtigall et Roland furent rassemblés dans le 201e bataillon de police auxiliaire (Schutzmannschaft) et envoyés assister la gendarmerie allemande et les Einsatzgruppen dans la lutte contre les partisans et l’élimination des Juifs.

Les Einsatzgruppen et leurs assistants ukrainiens faisaient leur travail macabre en suivant l’avancée des troupes, mais ils ne supprimaient que les éléments indésirables les plus visibles ou qui avaient le malheur de se trouver sur leur chemin. Le travail d’élimination méthodique était organisé par les autorités d’occupation. Dans la partie la plus occidentale du Reichskommissariat Ukraine, les Juifs étaient rassemblés de gré ou de force dans des ghettos. De là, ils étaient progressivement envoyés vers des camps d’extermination par le travail comme Belzec, Sobibor ou Treblinka.

Dans les régions plus à l’est du Reichskommissariat, pour ne pas encombrer les lignes de chemin de fer, intensément utilisées par les convois militaires, les exécutions continuèrent à se faire selon les méthodes de l’« holocauste par balles » avec la participation active de membres de la Hilfspolizei et de la Schutzmannschaft composées essentiellement de volontaires ukrainiens qui dépassaient parfois en sauvagerie et zèle les SS les plus endurcis et représentaient, ensemble, plus de 40 000 hommes. Ces unités étaient généralement sous l’autorité d’officiers nazis, mais pas toujours, et accomplissaient leur besogne à toutes les étapes de la chaîne d’extermination : depuis les ghettos jusqu’aux camps et aux lieux des massacres qu’ils contribuaient à perpétrer. On estime à neuf cent mille le nombre de Juifs exterminés en provenance de diverses parties de l’Ukraine. Certes, il n’y avait pas que des Ukrainiens dans la police auxiliaire, mais ils étaient très largement majoritaires : il ne pouvait en être autrement sur des terres ukrainiennes.

En avril 1943, d’autres jeunes volontaires ukrainiens s’enrôlèrent dans une nouvelle unité militaire allemande : la 14e division « Galicie » de la Waffen SS (Dyviziïa Halytchyna). Forte d’abord de 13 000 hommes, ses effectifs atteignirent 27 000 combattants, sous uniforme et commandement allemands. L’un de ces soldats, Yaroslav Hunka, a défrayé la chronique en septembre 2023, en faisant l’objet, en dépit de son passé nazi, d’une ovation debout à la Chambre des Communes du Canada en présence du Premier ministre Justin Trudeau et du président Volodymyr Zelensky.

Contrairement aux bandéristes, le but de ces volontaires n’était pas l’instauration d’un État ukrainien (il était alors impossible d’ignorer que Hitler n’en voulait pas), mais de combattre les Soviétiques et les ennemis du Reich. Si l’essentiel des combats de la division se déroula sur le front de l’est, les Allemands l’employèrent aussi pour mater le soulèvement national slovaque et contre les partisans yougoslaves en Slovénie.

Aujourd’hui, Stepan Bandera et les combattants de la Légion ukrainienne, au premier rang desquels Roman Choukhevitch, l’un des principaux perpétrateurs du massacre de Lvov et de bien d’autres, sont considérés comme des « héros » de l’indépendance ukrainienne, ainsi d’ailleurs que les volontaires de la division Waffen-SS Galizien. Les monuments à leur gloire fleurissent en Ukraine, ainsi que les rues portant leur nom.

Insulte suprême à la mémoire des victimes : l’une des avenues que l’on emprunte pour se rendre au mémorial de Babi Yar, à Kiev, porte le nom de Stepan Bandera ! Et cela ne soulève pas l’indignation de cette Europe qui a fait de l’antifascisme le leitmotiv de ses luttes chimériques !

 

[1] Les présidents du Conseil français Léon Blum et Paul Raynaud, ainsi que les ministres Georges Mandel et Yvan Delbos furent également détenus dans ce quartier situé à l’extérieur du camp.

[2] Les informations de cet article proviennent de l’ouvrage collectif en ukrainien ОУН в 1941 році (L’OUN en 1941), Kiev : Institut d’histoire d’Ukraine, Académie nationale des sciences, 2006 ; ainsi que de l’ouvrage de l’historien américano-ukrainien Paul Robert Magocsi, A History of Ukraine (Une histoire de l’Ukraine), Toronto : Toronto University Press, 2010 (2e édition).

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique