Le 13 septembre, le président Donald Trump a posté sur son réseau Truth Social un message que la plupart des commentateurs ont interprété comme une – nouvelle – attaque belliqueuse contre la Russie et, accessoirement, la Chine. Mais une lecture attentive du texte permet une autre signification, bien plus importante. En réalité, il s’agit d’un ultimatum adressé à… l’OTAN. En voici la traduction :
« LETTRE ENVOYÉE PAR LE PRÉSIDENT DONALD J. TRUMP À TOUS LES PAYS DE L’OTAN ET AU MONDE : "Je suis prêt à imposer des sanctions majeures à la Russie lorsque tous les pays de l’OTAN auront accepté et commencé à faire la même chose, et lorsque tous les pays de l’OTAN CESSERONT D’ACHETER DU PÉTROLE À LA RUSSIE. Comme vous le savez, l’engagement de l’OTAN à GAGNER a été bien inférieur à 100 %, et l’achat de pétrole russe, par certains, a été choquant ! Cela affaiblit considérablement votre position de négociation et votre pouvoir de négociation sur la Russie. Quoi qu’il en soit, je suis prêt à ‘y aller’ quand vous le serez. Dites simplement quand ? Je crois que cela, avec en plus l’OTAN, en tant que groupe, imposant DES DROITS DE DOUANE DE 50 % À 100 % À LA CHINE, qui seront complètement retirés après la fin de la GUERRE entre la Russie et l’Ukraine, sera également d’une grande aide pour mettre fin à cette GUERRE mortelle, mais RIDICULE. La Chine a un contrôle fort, et même une emprise, sur la Russie, et ces puissants droits de douane briseront cette emprise. Ce n’est pas la GUERRE DE TRUMP (elle n’aurait jamais commencé si j’avais été président !), c’est la GUERRE de Biden et Zelensky. Je ne suis ici que pour aider à l’arrêter et sauver des milliers de vies russes et ukrainiennes (7 118 vies perdues la semaine dernière, rien que la semaine dernière. C’EST FOU !). Si l’OTAN fait ce que je dis, la guerre se terminera rapidement, et toutes ces vies seront sauvées ! Sinon, vous ne faites que perdre mon temps, ainsi que le temps, l’énergie et l’argent des États-Unis. Merci de l’attention que vous portez à cette question ! DONALD J. TRUMP, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE". »
Remarquons d’abord l’irritation évidente perceptible derrière ces phrases. Visiblement, le président des États-Unis est excédé : le message adressé aux membres de l’OTAN – qui sont tous européens (à l’exception du Canada et des États-Unis eux-mêmes, bien entendu) – est limpide : ce n’est pas ma guerre, à moi Donald J. Trump, alors arrêtez de me demander de prendre des mesures et des sanctions dans un effort que vous refusez vous-mêmes de faire. Arrêtez d’acheter des hydrocarbures russes et mettez des droits de douane exorbitants sur la Chine et on pourra en reparler !
Il faut voir également une bonne dose de duplicité derrière cette exhortation : ces décisions radicales, il est certain que les Européens ne pourront pas les prendre. La plupart, malgré de bonnes intentions affichées pour plus tard (2027 ou après), sont incapables de se passer de l’énergie, sous forme de GNL, qu’ils continuent d’importer de Russie. Pour certains, comme la Hongrie ou la Slovaquie, il est même impossible de se priver du gaz russe qui arrive par pipeline. De la même manière, les États-Unis ne peuvent pas se passer de l’uranium enrichi, du palladium ou des engrais azotés et potassiques qu’ils continuent d’importer de Russie en dépit des sanctions.
Quant aux droits de douane, le président des États-Unis est bien placé pour savoir à quel point il est difficile de les mettre en place, tellement sont importantes la place commerciale de la Chine en Occident et ses capacités de rétorsion. Rares sont les pays européens qui pourraient se lancer dans une telle aventure sans mettre encore à mal leurs économies déclinantes. Et si d’aventure tous les pays de l’OTAN se mettaient d’accord sur des sanctions secondaires, cela ne ferait certainement pas plier Pékin, ni briser son – éventuelle – emprise sur la Russie.
Ainsi, c’est une « mission impossible » que Donald Trump a assignée aux Européens qui, contrairement à Ethan Hunt, le héros des films à succès, ne pourront que refuser. Ou plutôt, faire semblant de ne pas avoir bien entendu.
La question que l’on est en droit de se poser est : pourquoi ce message ? Et, comme corollaire : pourquoi maintenant ? À défaut de certitudes, il est possible d’avancer une supposition éclairée par le contexte. Depuis sa rencontre avec Vladimir Poutine à Anchorage, le 15 août 2025, il y a juste un mois, le président Trump semble persuadé qu’il est possible de parvenir à la paix en Ukraine sans cessez-le-feu préalable : 1) en éliminant la cause principale du conflit : l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et la présence de troupes de l’Alliance dans le pays, et 2) en tenant compte de la situation sur le terrain et en acceptant la perte par Kiev de tout ou partie des quatre régions réclamées par la Russie.
Or, depuis la réunion plutôt burlesque qu’il avait tenue à la Maison Blanche, le 18 août, avec Volodymyr Zelensky et sept autres dirigeants européens (surnommés les « sept nains » par des esprits facétieux), Donald Trump s’est rendu compte que les Européens restaient sur leur position de faire durer la guerre, quitte à la figer pour mieux la reprendre, et qu’ils entretenaient Zelensky dans l’idée de ne pas céder et de résister quoi qu’il en coûte à l’Ukraine.
L’un des moyens employés dans ce but est la multiplication de vains sommets de ladite « Coalition des volontaires ». Ils déploient, à défaut de moyens réels, des plans mirifiques de « contingents de la paix », de « forces de réassurance » et de « zones d’interdiction aérienne » destinés – théoriquement – à garantir la sécurité de l’Ukraine après l’arrêt des combats en dissuadant la Russie de lancer une nouvelle attaque.
Une question vient aussitôt à l’esprit : pourquoi se focaliser ainsi sur l’« après » au lieu de réfléchir sur le présent, c’est-à-dire sur les moyens diplomatiques réalistes de mettre fin à la guerre et, surtout, d’assurer une coexistence pacifique ? Après tout, en 1975, la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe était bien parvenue à le faire en dépit de divergences idéologiques réelles et non pas imaginaires, comme aujourd’hui. Mais on préfère les habituels « y'a qu'à, faut qu'on » : il n’y a qu’à forcer la Russie à accepter le cessez-le-feu sans conditions, il faut qu’on augmente les sanctions pour obliger Moscou à…
À quoi, d’ailleurs ? À négocier ? Ou à capituler ? La réponse est évidente : à négocier, bien sûr, mais aux conditions ukrainiennes, en tenant compte le moins possible de la situation sur le terrain : en d’autres termes à capituler ! Car, les Européens de cette coalition à géométrie variable répètent à l’envi qu’une victoire russe, même partielle, est inacceptable. Et, leur véritable but semble bien être de poursuivre la guerre dans l’espoir d’un retournement miraculeux de la situation : l’effondrement de l’économie russe ou un changement de la politique de Washington.
Pour parvenir à leurs fins, les membres de la coalition s’efforcent de persuader le président des États-Unis de revenir au soutien inconditionnel à l’Ukraine de l’administration précédente. Et c’est sans doute ce dernier point qui énerve le plus Donald Trump, lui qui ne cesse de répéter qu’il n’est pas Joe Biden !
Après chaque grande messe régulière des Coalisés européens, à peine le grand prêtre Emmanuel Macron a-t-il expliqué en conférence de presse qu’un nombre important autant qu’imprécis d’États européens a accepté d’engager des troupes, chacun des autres principaux participants se défausse en déclarant qu’il est hors de question pour son pays d’envoyer des soldats en Ukraine. Ainsi, après la réunion du 4 septembre 2025 à Paris, le président français a déclaré que 26 États (lesquels ?) auraient accepté de « déployer comme force de réassurance des troupes en Ukraine ou à être présents sur le sol, en mer ou dans les airs pour apporter cette réassurance au territoire ukrainien », s’attirant aussitôt un lot de démentis.
Évidemment, les Européens savent bien que l’idée de placer des troupes européennes – c’est-à-dire de l’OTAN – au sol en Ukraine provoquerait sur la Russie le même effet qu’une muleta agitée sous le nez d’un taureau de combat. La réaction du président Poutine n’a pas tardé : dès le lendemain, le 5 septembre, lors du Forum économique de l’Est, à Vladivostok, répondant à une question, il déclarait : « Concernant d'éventuels contingents militaires en Ukraine. C'est l'une des principales raisons de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Par conséquent, si des troupes apparaissent sur place, actuellement, lors d'opérations militaires, nous partons du principe qu'elles constitueront des cibles légitimes pour leur destruction. Et si des décisions sont prises qui mènent à la paix, à une paix à long terme, alors je ne vois tout simplement pas l’intérêt de leur présence sur le territoire de l’Ukraine, c’est tout. »
La levée de boucliers occidentale a été immédiate. En substance : « Poutine ne veut pas la paix. La preuve, il menace le futur contingent de réassurance ». Non, il répète simplement ce qu’il a dit depuis le départ : des forces occidentales sur le sol ukrainien seraient considérées comme cobelligérantes. Et, après la signature d’une paix durable, elles seraient inutiles.
Il est curieux que deux incidents plutôt bizarres aient accompagné cet échange, comme si les Européens voulaient illustrer la justesse de leur position par des exemples concrets de la malveillance russe et, indirectement, appeler l’Oncle Sam à la rescousse. D’abord, l’épisode vaudevillesque du GPS de l’avion d’Ursula von der Leyen, prétendument brouillé par les Russes au-dessus de la Bulgarie (voir notre article) qui s’est soldé par un « flop » retentissant. Et ensuite, plus sérieusement, l’histoire des drones russes envahissant la Pologne.
Attention, il ne s’agit pas ici de dire que les appareils en question n’étaient pas russes car nous n’en savons rien. Mais, il y a suffisamment de zones d’ombre et d’angles morts dans le narratif occidental pour laisser penser que l’incident a été très largement gonflé à des fins de propagande.
D’abord, les faits. Dans la nuit du 9 au 10 septembre, dix-neuf drones russes ont franchi la frontière polonaise et, à l’heure où ces lignes sont écrites, les débris de 16 ou 17 d’entre eux ont été retrouvés. Quelques-uns, peut-être quatre, auraient été abattus en vol par des avions de la force aérienne polonaise et de ses alliés de l’OTAN : entre dix et douze appareils polonais, néerlandais et italiens, dont plusieurs chasseurs, deux avions radar et un ravitailleur en vol.
Les débris identifiés sont ceux de drones Guerbera (Гербера), des appareils légers, fabriqués à partir de polystyrène et bon marché (quelque 10 000 USD, voire moins) dont certains ont été retrouvés presque intacts. Ils sont généralement utilisés comme leurres. Ils peuvent aussi transporter une petite charge d’explosifs, mais ce n’était le cas d’aucun de ceux qui sont tombés en Pologne.
C’est ici que commencent les bizarreries. En effet, le Guerbera, dispose d’une autonomie théorique de 600 km. Or, ceux qui nous concernent n’auraient pas pu atteindre la frontière polonaise s’ils avaient été lancés de Russie. Cela signifie que leur point de départ se situe en Ukraine ou en Biélorussie. Cela ne veut évidemment pas dire qu’ils n’ont pas été opérés par les Russes lors d’une opération spéciale, mais cela ouvre la place au doute.
De plus, la nuit en question, la Biélorussie a prévenu la Pologne et la Lituanie de l’arrivée probable de drones ukrainiens ou russes « qui ont dévié de leur trajectoire en raison du brouillage électronique des deux côtés ». Cela signifie que la thèse de l’accident devrait être privilégiée. Mais il est difficile d’écarter une hypothèse alternative : une opération ukrainienne avec, éventuellement, une complicité polonaise. Les drones Guerbera de reconnaissance finissent par se poser lorsque leur carburant est épuisé, comme on le voit sur les images de l’incident. Il est possible que certains de ces appareils, récupérés en territoire ukrainien, aient été rafistolés avec les moyens du bord, comme semble le montrer le ruban adhésif sur certains des drones retrouvés. Le problème de l’autonomie serait ainsi résolu[1].
Quelle que soit l’explication réelle, il ne fait nul doute que les Polonais et d’autres membres de l’OTAN ont fait en sorte de dramatiser l’affaire en appelant à des consultations entre alliés en vertu de l’article 4 de la Charte.
Est-ce cette insistance européenne à pousser un narratif qu’il ne veut pas entendre qui a poussé Donald Trump à publier son message incendiaire sur son réseau ? En tout cas, sa réaction initiale, dès le 11 septembre, a été de dire : « Cela a pu être une erreur ». Et le 13 septembre, Marco Rubio, le secrétaire d’État, ne disait pas autre chose en y mettant les formes pour ne pas trop contrarier ses alliés : « La question est de savoir si les drones ont été ciblés pour aller en Pologne spécifiquement. Si c'est le cas – s’il y a des preuves en ce sens – alors il s'agira d'une escalade majeure. Il existe également un certain nombre d'autres possibilités. »
Dans cette situation, les Européens ont deux possibilités : revoir leur stratégie et accepter la perspective de négociations, ou poursuivre sur la voie de l’escalade dans la gesticulation, au risque d’indisposer pour de bon le président des États-Unis, l'incitant à se retirer sur l'Aventin en laissant les Européens se débrouiller tout seuls.
[1] Certains prétendus experts ont une autre explication : les drones étaient équipés d’un réservoir supplémentaire. Problème : aucun équipement de ce genre n’a été retrouvé sur les sites.