« Pierre Lorrain, né le 28 octobre 1953, est un journaliste et écrivain français, spécialiste de l'URSS, du monde post-soviétique et de la Russie. » (Wikipédia)
C'est curieux de voir plusieurs décennies d'une vie et d'une carrière résumées ainsi. Il y a encore plus court : les cartes de visite. Sur la sienne, le génial Jacques Bergier se présentait de cette manière : « Amateur d'insolite et scribe de miracles ». Et moi ? Que me reste-t-il puisqu'il a tout pris ?
C'est vrai que l'insolite m'a toujours fasciné. Et j'aurais bien aimé rapporter des miracles. Les années 1960 — celles de mon enfance et adolescence — se prêtaient bien à ce genre d'exercice : l'homme se lançait à la conquête de l'espace et accomplissait l'exploit de poser le pied sur la Lune. Je suivais avec passion la course à l'espace, enthousiasmé par les grandes « premières » américaines et soviétiques, tentant de déchiffrer — avec une méthode Assimil — les inscriptions en russe sur les vaisseaux spatiaux.
Dans le même temps, en France, on découvrait vraiment la science-fiction. Mes lectures étaient alors très éclectiques : après avoir dévoré Jules Verne et englouti mois après mois tous les romans publiés dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, je me délectais des grands classiques de la SF. Mais je dégustais aussi la politique-fiction avec Sept jours en mai de Knebel et Bailey, et l'espionnage avec John Le Carré ou Frederick Forsyth. Et je ne dédaignais pas la grande
1968 fut une année extraordinaire et non pas parce qu'il y eut un mois de mai qui me permit de lire plus que d'habitude en raison de l'absence de cours. Cette année-là sortirent deux films qui ont symboliquement orienté ma vie ultérieure : 2001, l'Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick, et La Guerre et la Paix, de Sergueï Bondartchouk.
Devenir un « scribe de miracles », en d'autres termes, écrire de la SF, tel était mon rêve d'adolescent. Et ce rêve avait deux corollaires : être publié dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir et dans la collection « Best Sellers » de Robert Laffont où j'avais découvert La variété Andromède de Michael Crichton. Un livre de science plus que de fiction qui illustre de manière efficace le rôle de l'imprévisible et de l'erreur dans les activités humaines.
Heureux homme, celui qui peut vivre ses rêves. J'ai publié un roman dans chacune des deux collections : « Anticipation » (Les gardiennes d'Espérance, sous le pseudonyme de Pierre Debuys) et « Best Sellers » (Les territoires sans loi).
Ma relation avec la Russie est plus complexe. Si elle plonge ses racines dans l'épopée spatiale et la littérature, elle s'est développée presque par hasard au tout début des années 1980 par quelques visites de plusieurs semaines en Union soviétique. De mon expérience du « socialisme réel » cher à Leonid Brejnev, j'en tirai matière à un livre que je voulus intituler : Le culte du mensonge et que mon éditeur, Pierre Belfond, publia sous le titre de L'évangile selon Saint-Marx. Il garda cependant le sous-titre qui disait tout : La pression idéologique dans la vie quotidienne en URSS.
Cet ouvrage me valut une certaine notoriété et de nombreuses demandes d'articles. Bref, alors que je ne me destinais pas particulièrement à devenir un spécialiste de l'URSS, j'avais mis le doigt dans un engrenage qui m'a avalé tout entier depuis. En 1984, j'entrai dans la rédaction de l'hebdomadaire Valeurs Actuelles. Je devais m'occuper non seulement du bloc soviétique, mais aussi de politique intérieure : j'étais chargé de suivre les partis de gauche en France. Cela me permit de rencontrer et de côtoyer une kyrielle d'hommes politiques dont certains ont connu des carrières intéressantes. Mon intégration dans une rédaction ne fut pas pour moi une expérience réussie : peut-être étais-je trop indépendant. Donc quitte à l'être, autant recouvrer la liberté. J'ai néanmoins continué à travailler pour cette estimable revue, où je compte de nombreux amis.
Entre-temps, un organisme tout-puissant en URSS — dont les trois lettres ont marqué à jamais l'histoire du sceau de l'infamie — m'avait classé à juste titre dans la catégorie des « antisoviétiques », me privant ainsi de la possibilité de retourner en URSS. Je n'en étais pas moins devenu ce que l'on appelait alors un soviétologue et je passais une partie de mon temps à déchiffrer l'oracle des photos de la Pravda pour tenter de découvrir les rapports de force au Kremlin. Ce fut ainsi qu'en 1986, je commençai une collaboration avec le mensuel Est & Ouest (dirigé par Branko Lazitch), où j'analysai toute la période gorbatchévienne jusqu'à l'effondrement final de l'URSS.
Ce fut aussi à cette époque que je rencontrai Galia Ackerman dans le cadre de l'Internationale de la résistance fondée par le dissident soviétique Vladimir Maximov. Nos affinités — et une bonne part de hasard et de contraintes matérielles — nous firent collaborer à différentes traductions, à commencer par une autobiographie d'Alexeï Adjoubeï, le gendre de Nikita Khrouchtchev. Puis celle d'Alexandre Zinoviev (Les confessions d'un homme en trop). Puis… la liste est longue où émergent d'autres noms prestigieux de la politique (comme Mikhaïl Gorbatchev, Alexandre Lebed ou encore notre ami Andreï Gratchev) et de la littérature, comme Viktor Pelevine.
En 1992, je pus enfin retourner en Russie. Le pays n'était plus le même et tout était à découvrir. Pendant plus de dix ans, je vécus ainsi, un pied à Paris et l'autre à Moscou, où je louais un logement en tant que correspondant. Cette période, particulièrement riche en rencontres et expériences de toutes sortes, me permit de m'intéresser aux sujets les plus divers, comme l'affaire Tchikatilo, un tueur en série qui avait sévi dans le sud de la Russie (Le Monstre de Rostov), ou les finances du PCF d'après des archives du Parti communiste soviétique retrouvées par Viktor Loupan (L'Argent de Moscou).
D'autres archives s'ouvrirent à l'époque : celles des Romanov et du Sovnarkom (le Conseil des commissaires du Peuple) qui relataient la fin de la famille impériale de Russie. Elles me permirent d'écrire La fin tragique des Romanov (à l'origine intitulé La nuit de l'Oural) publié en 1996 et qui a connu trois rééditions et mises à jour, jusqu'à l'édition finale en 2018.
Je travaillais sur une histoire de l'effondrement de l'Union soviétique, lorsque Vladimir Poutine devint Premier ministre puis président de la Fédération de Russie. Mon éditeur me convainquit de changer l'angle du livre pour expliquer la montée de ce nouveau dirigeant que personne n'attendait. Le résultat fut une narration croisée du déclin de l'URSS depuis les années 1950 et de la vie et de la carrière de Poutine jusqu'en l'an 2000. Le titre qui me semblait s'imposer (Destins croisés : Poutine et son pays), n'eut pas l'heur de plaire à l'éditeur. Je me repliai alors sur L'irrésistible ascension de Vladimir Poutine, clin d'œil à une célèbre pièce de théâtre. Pour une raison… mystérieuse, le titre devint La mystérieuse ascension de Vladimir Poutine. Pourtant, je raconte qu'il n'y a justement aucun mystère !
Dans un autre ouvrage, je me suis efforcé d'expliquer pourquoi la Russie est, malgré l'histoire de la guerre froide et les apparences de rivalité, un partenaire stratégique incontournable des pays occidentaux. Il a connu un sort similaire : le véritable titre (L'incroyable alliance, avec comme sous-titre La Russie : de la guerre froide aux portes de l'OTAN) est bien mentionné en page de garde, mais la couverture, elle, annonce : L'incroyable alliance Russie-États-Unis. Il paraît que les impératifs commerciaux exigent des titres accrocheurs, même s'ils ne correspondent pas à l'esprit du livre.
Heureusement, celui de mon ouvrage suivant, Moscou et la naissance d'une nation, a été adopté tout de suite par mon éditrice, Constance de Bartillat. C'est également grâce à elle et à son collaborateur, Charles Ficat, que j'ai pu me consacrer à la rédaction d'un projet particulièrement ambitieux mais qui me tenait à cœur : L'Ukraine, une histoire entre deux destins. Qu'il me soit permis de leur exprimer toute ma reconnaissance.