BPC Mistral : Le ministre polonais de la Défense victime d’un canular vieux de 2015

BPC Mistral : Le ministre polonais de la Défense victime d’un canular vieux de 2015

On sait que, sur Internet, les canulars ont la vie dure et que les mêmes bêtises, à peine croyables, sont régulièrement reprises par des sites dont le sérieux et l’intelligence ne sont pas les qualités premières.
En revanche, il était difficile de croire qu’un organisme sérieux, comme est censé l’être le ministère de la Défense de la république de Pologne, se laisse prendre à un hoax qui peut être démonté en cinq minutes.

Voici l’histoire :

Le jeudi 20 octobre dernier, lors d’un débat parlementaire à la Diète de Varsovie, le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, a déclaré que, selon des sources fiables, l’Égypte avait cédé à la Russie les deux BPC Mistral précédemment achetés à la France et cela pour un dollar symbolique.

Dans son élan, le ministre espérait que Le Caire ferait marche arrière pour préserver la paix du monde !

Le problème est que cette histoire de revente des Mistral à la Russie n’est pas nouvelle.

Voici ce que publiait, le 11 octobre, mngz.ru, un obscur site russe :

« Vends Mistral, 2 unités, état neuf, pas cher

L’Égypte va revendre les porte-hélicoptères Mistral à la Russie pour un 1 dollar symbolique.

La Russie va quand même obtenir les deux porte-hélicoptères Mistral construits en France, en dépit du fait que Paris a refusé de livrer les navires en raison des sanctions antirusses. Les Mistral ont été rachetés par l’Égypte dont les autorités ont décidé de les restituer à Moscou.

Dimanche 9 octobre, la chaîne de télévision égyptienne SIS TV a annoncé cette nouvelle sensationnelle. […]

"Le milliardaire égyptien Nassef Onsi Sawiris, qui a fourni les moyens pour l’achat par son pays des porte-hélicoptères Mistral et est en réalité leur propriétaire, a décidé de les revendre à la Russie pour le prix symbolique d’un dollar. La question de la vente est coordonnée avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi", a déclaré le présentateur de la chaîne égyptienne SIS TV. »

Gros problème : la chaîne égyptienne SIS TV n’existe pas. Il y a bien un site sis.tv, mais il s’agit d’une officine en langue anglaise de paris en ligne. Il pourrait éventuellement s'agir du State Information Service du gouvernement égyptien (sis.gov.eg), mais il est impossible d'y trouver la trace d'une telle nouvelle. Il suffit de deux minutes de recherche pour s’en convaincre.

Dès le lendemain d’ailleurs, le politologue égyptien Taimur Dvidar démontait l’information pour le journal en ligne Pravda.ru :

« "L’achat par l’Égypte des deux porte-hélicoptères a été financé par les Émirats arabes unis et, partiellement par l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, des négociations sont en cours avec le complexe militaro-industriel russe au sujet de l’équipement et de l’armement des navires, dans la mesure où ils ont été aménagés pour les hélicoptères Ka-52 russes", a expliqué à Pravda.ru le politologue égyptien.

L’expert ne pense pas que les Mistral soient la propriété de Sawiris. "Il ne s’est jamais occupé de marchés de ce genre. J’émets le plus grand doute sur cette nouvelle. Sans compter qu’en Égypte, il n’y a pas de chaîne SIS TV", affirme le politologue. »

Une petite recherche complémentaire permet de se rendre compte que cette information n’était pas à proprement parler un scoop : elle figurait déjà sur le blog russe rurik-l.livejournal.com le 25 septembre dernier et faisait également référence à SIS TV – la date du 9 octobre était donc fictive. Voici le texte :

« SIS TV : Le Caire revendra les "Mistral" à la Russie

"Le milliardaire égyptien Nassef Onsi Sawiris, qui a fourni les moyens pour l’achat par son pays des porte-hélicoptères Mistral et est en réalité leur propriétaire, a décidé de les revendre à la Russie pour le prix symbolique d’un dollar. La question de la vente est coordonnée avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi", transmet la principale chaîne de télévision égyptienne SIS TV. »

On notera le copier-coller réalisé par mngz.ru. Mais l’aventure ne s’arrête pas là, rurik-l.livejournal.com donnait sa propre source : un autre site russe appelé Optimist (oppps.ru) qui expliquait – dans un article daté du 12 octobre 2015 ! – que, selon un rapport du Sénat français, la France aurait renoncé à livrer les Mistral, le mois précédent, pour ne pas perdre un contrat de vente de 50 hélicoptères Caracal à la Pologne. Les médias français auraient affirmé, toujours selon l’article, qu’en réalité la vente à l’Égypte n’était qu’une fiction destinée à faire parvenir les BPC discrètement à la Russie, sauvant de cette manière le contrat polonais sans perdre le russe.

Ainsi, deux choses :

La première : l’info n’est qu’un canard à l’origine indéterminée qui court depuis l’annulation de la vente des Mistral par la France, en septembre 2015. La presse polonaise a rapidement levé le lièvre, comme l’indique la capture d’écran ci-contre du journal en ligne Dziennik.pl : « Macierewicz dupé ? Il a dit que l’Égypte a vendu les Mistral à la Russie, ce qui est probablement un canular russe ».

 

 

Est-il possible que les services du ministre ne l’aient pas informé de ce qui est évident après une simple recherche sur Internet ? Dans ce cas, une telle incompétence laisse pantois. Il est vrai que, depuis longtemps, le ridicule ne tue plus.

La deuxième est qu’il existe une explication plus « rusée » à la déclaration de Macierewicz : lors du débat, il répondait à une question sur la récente annulation par la Pologne du contrat sur les hélicoptères français Caracal que le précédent gouvernement polonais avait prévu d’acheter, justement en compensation du refus de Paris de livrer les Mistral à la Russie. Le ministre a peut-être trouvé malin de suggérer que les BPC allaient tout de même être livrés à Moscou pour se dédouaner des accusations d’avoir tourné le dos aux engagements de son prédécesseur et laissé tomber l’allié français. La faiblesse d’une telle défense est qu’elle ne peut durer qu’un très court instant. Mais peut-être suffisant pour que l’attention des médias se braque ailleurs.

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique