Décidément, les miracles de Noël n’existent pas que dans les films. Comment qualifier autrement que par « miraculeux » le passage soudain d’un homme politique européen de l’ombre de la pensée magique vers la pâle lueur d’un minimum d’entendement ? Soyons sûrs que la conversion au réalisme d’Emmanuel Macron, le 18 décembre 2025, en route pour Bruxelles, deviendra pour les générations futures aussi édifiante que les révélations du christianisme connues par Paul de Tarse sur le chemin de Damas, dans les années trente de notre ère, ou par Paul Claudel, derrière un pilier de Notre-Dame de Paris, le jour de Noël de 1886.
Notons que, par son origine latine, le prénom Paul signifie « petit » ou « humble », ce qui peut favoriser les remises en question[1], alors qu’Emmanuel, « Dieu est avec nous » (en allemand Got mit uns), n’incite pas forcément à la modestie et donc au doute. L’effort n’en est que plus méritoire ! Mais trêve d’ironie et passons aux choses sérieuses.
Notre conte de Noël commence par l’un de ces imbroglios européens où les États membres ne sont d’accord qu’en façade, s’opposent les uns aux autres et ne parviennent à un arrangement qu’in extremis pour ne pas ruiner l’obligatoire image d'unité et solidarité. En l’occurrence, la Commission européenne et les principaux pays de l’Union, fauchés, réfléchissaient depuis trois mois à un dispositif permettant de continuer à financer l’Ukraine en utilisant les actifs gelés de la Banque centrale de Russie détenus en Europe. Il faut dire que les Européens, comme la cigale de la fable, s’étaient trouvés fort dépourvus après avoir dépensé sans compter pour soutenir Kiev et subi l’effet boomerang de la vingtaine de trains de sanctions qu’ils avaient eux-mêmes édictés.
En pratique, l'Union européenne a déjà fourni plus de 100 milliards EUR d'aide à l'Ukraine depuis le début de la guerre. Or, les besoins futurs pour 2026-2027 sont estimés à 90 milliards. Et les États-Unis, qui contribuaient largement au financement sous l’administration de Joe Biden (quelque 195 milliards USD de février 2022 à fin décembre 2024, selon le Council on Foreign Relations), refusent de le faire sous celle de Donald Trump. De là l’idée d’utiliser les fonds souverains russes gelés par les sanctions européennes pour éviter de puiser dans les budgets nationaux ou d'émettre une nouvelle dette commune. Après tout, obliger l’« agresseur » à contribuer n’aurait rien d’illégitime puisque, expliquait-on, la Russie serait bien forcée (par qui ?) de payer pour la reconstruction de l’Ukraine.
Il s’agissait donc d’un prêt de réparations à taux zéro, adossé aux actifs russes (quelque 210 milliards EUR) immobilisés dans l'UE depuis février 2022, la majeure partie de cette somme (185 milliards) étant détenue en Belgique par le dépositaire international de titres Euroclear Bank. Cette approche, défendue par la présidente de la Commission, die Kaiserin von der Leyen, était certainement inédite. Le problème est qu’elle était surtout illégale. Un État – ou un conglomérat d’États – n’a pas le droit de s’approprier de quelque manière que ce soit les fonds souverains d’un autre pays avec lequel il n’est même pas en guerre. Quelle confiance accorder à ceux qui se comporteraient ainsi ? Dès lors, les velléités européennes n’ont pas manqué de soulever des craintes d'instabilité financière, de complications juridiques, d’exode des investisseurs, sans parler de représailles russes.
Le 10 septembre dernier, Ursula von der Leyen a lancé cette brillante idée, concoctée vraisemblablement à Berlin, devant le Parlement européen, en déclarant : « C'est la guerre de la Russie, et c'est la Russie qui devrait payer. Ce ne devrait pas être seulement aux contribuables européens d’en supporter le poids ». Rapidement, plusieurs États ont soulevé des objections puis, au fil du temps, ils ont manifesté une opposition de plus en plus déterminée jusqu’au fiasco final du 18 décembre.
Le principal « meneur » de cette fronde a été le Premier ministre belge, Bart De Wever, dont il faut mentionner la ténacité et le courage, car il ne s’opposait pas seulement à la toute-puissante présidente de la Commission, mais aussi à l’autre poids lourd européen, der Reichskanzler, non, pardon ! der Bundeskanzler Großdeutschlands, Friedrich Merz, inspirateur et principal soutien de la mesure projetée. Dans les jours suivant le discours de Frau von der Leyen, Herr Merz n’avait pas manqué d’appuyer la proposition dans une tribune au Financial Times, insistant sur une adoption unanime ou par une large majorité d’États membres engagés en faveur de l’Ukraine.
On peut imaginer la pression considérable qui s’est exercée sur Bart De Wever à mesure qu’il soulevait des objections. Il faut dire que la Belgique, détentrice du plus gros des actifs russes, aurait été en première ligne dans le litige qui n’aurait pas manqué de se produire. En conséquence, le Premier ministre exigeait une certitude juridique absolue, une mutualisation totale des risques et un partage réel des charges.
Dans les semaines suivantes[2], Monsieur De Wever a persisté dans son refus en bénéficiant du soutien de pays – la Hongrie et la Slovaquie – qui, dès le départ, ne tenaient pas à s’engager dans l’aventure, mais dont les positions sont généralement marginalisées par la Commission. Les réfractaires ont reçu le renfort de la Bulgarie, de Malte, de la Tchéquie – qui a changé de Premier ministre – et, surtout, de l’Italie qui, après réflexion, n'a pas voulu se laisser embarquer dans une aventure aussi mal engagée. D’autant que, début décembre, la Banque centrale européenne a refusé de fournir un filet de sécurité en liquidités pour le prêt.
Cette opposition croissante a obligé la patronne de la Commission à invoquer des clauses d’urgence (Article 122 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) pour changer les procédures et passer à un vote à la majorité qualifiée qui, en théorie, en marginalisant les pays réfractaires, devait permettre à son idée géniale d’être adoptée. C’est dire que, à l’approche de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre, même si la partie était serrée, le tandem von der Leyen-Merz était confiant dans le succès.
Et c’est là que s’est produit le miracle de Noël (enfin, une semaine avant). Contourner l’opposition de l’Italie n’aurait pas été bien difficile tant que les deux autres « poids lourds » européens, l’Allemagne et la France, restaient unis. Or, juste avant la réunion du Conseil européen, le président Emmanuel Macron, qui avait précédemment exprimé des doutes et réticences sans aller jusqu’à une opposition nette, a rejoint le camp des réfractaires qui demandaient de trouver des solutions de financement moins risquées.
Si l’on en croit un article du Financial Times sobrement intitulé : « Inversion des rôles : comment une France traînant les pieds a pris de court une Allemagne devenue plus offensive », le chancelier Merz a été d’autant plus surpris par le renversement de la position française que Paris ne s’était pas opposé publiquement au plan allemand dans les semaines précédant le sommet. En privé, toutefois, l’Élysée avait exprimé des réserves sur sa légalité et averti que la France, en raison de sa dette, serait bien en peine de fournir une garantie nationale en cas de restitution forcée des avoirs à Moscou. Mais, rien de susceptible d’alarmer le chancelier qui pensait avoir Emmanuel Macron dans la poche. C’est donc peu dire que le revirement français a été ressenti par Merz comme une « trahison » et que, selon un diplomate européen cité par le FT, il y aurait « un prix à payer ».
Selo
n bon nombre d’analystes, ce changeme de position n’est pas seulement dû à la dette française considérable (117,4 % du PIB à la fin du troisième trimestre 2025, selon l’INSEE) puisque la France ne s’est pas opposée à l’octroi d’un prêt commun à l’Ukraine de 90 milliards EUR sur deux ans, garanti par le budget de l’UE. Or, en cas plus que probable de non-remboursement, la part de la France serait potentiellement d’une vingtaine de milliards d'euros. De plus, presque simultanément, le président Macron – endossant la hotte du Père Noël pour les ouvriers des chantiers de Saint-Nazaire et les industriels de l’armement – a annoncé le lancement de la construction du porte-avions du futur pour un montant de 10 milliards EUR (sans compter les probables dépassements).
En réalité, une autre déclaration du président français tend à confirmer le « miracle ». Le 19 décembre, lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil européen, il a déclaré : « Il va redevenir utile de parler à Vladimir Poutine ». Certes, il a précisé, conciliant, qu’« il faudra dans les prochaines semaines trouver des voies et moyens aussi pour que les Européens, dans la bonne organisation, réengagent un dialogue complet avec la Russie en toute transparence et association avec l'Ukraine ». Mais cette sortie impromptue constitue ce qui se rapproche le plus d’un coup de pied de l’âne donné à Friedrich Merz et aux Valkyries bellicistes de la Commission – en particulier Kaja Kallas – qui refusent par principe tout contact avec le président russe, que Macron lui-même qualifiait d’« ogre » il n’y a pas si longtemps.
Il est légitime de se demander ce qui a motivé ce renversement de situation. L’une des explications les plus évidentes, pour autant que l’on comprenne la psychologie du président français, est qu’il a fini par être excédé par le comportement plutôt sûr de lui et, disons-le, despotique du chancelier Merz qui, depuis sa nomination, semble considérer la France comme un partenaire mineur et l’Union européenne – qu’il contrôle par l’intermédiaire d’Ursula von der Leyen – comme sa chasse gardée. Le différend sur la signature du Mercosur, poussée par l’Allemagne contre vents et marées et surtout contre les intérêts de l’agriculture français (mais aussi d’autres pays européens : Italie, Pologne, Hongrie), a certainement été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli par le désaccord concernant le projet de chasseur SCAF[3] (Système de combat aérien du futur).
Peut-être le locataire de l’Élysée s’est-il rendu compte que l’Allemagne n’était pas un allié, mais un obstacle pour son éventuel futur de président européen lorsqu’il descendrait de charge, à Paris, dans dix-huit mois. En tout cas, lorsque deux mâles alpha se disputent une tribu, l’un des deux doit finir par céder et il est possible qu’Emmanuel Macron ait décidé qu'il ne se rendrait pas sans combat. Cependant gardons-nous de tirer des conclusions hâtives et souvenons-nous du très vieux dicton populaire : « Souvent Macron varie, bien fol est qui s’y fie ! »
Chers lecteurs, permettez-moi de souhaiter un très Joyeux Noël aux chrétiens par la foi, la culture ou la tradition, et d'excellentes fêtes à tous les autres, dans la paix et le partage. Et si vous avez trouvé cet article amusant autant qu'intéressant, vous pouvez m’offrir un café…
Tout notre soutien à Jacques Baud, Xavier Moreau et aux autres victimes des sanctions, accusés d’avoir exercé la liberté d’expression garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et les textes fondamentaux européens, et jugés coupables par ministère de la Vérité orwellien qu’est devenue la Commission européenne.
[1] Je n’ignore pas que Paul de Tarse s’appelait en vérité Saul (« demandé à Dieu » en hébreu), mais ce prénom suppose également une part d’humilité, du moins de la part de ses parents qui ont fait l’effort de s’agenouiller devant leur Créateur.
[2] Une chronologie précise de l’affaire a été publiée dans cet article d’Euronews.
[3] Le site Vol en avion de chasse a publié un article intéressant sur le sujet : SCAF en crise : France et Espagne relancent le programme, l’Allemagne reste silencieuse.