Russie : Élections législatives de septembre 2021 – perspectives

Russie : Élections législatives de septembre 2021 – perspectives

Dans un peu plus de deux semaines, le 19 septembre les élections législatives se tiendront en Russie. Elles seront les premières à se dérouler sous la nouvelle mouture de la Constitution (voir notre précédent billet). Avant de nous pencher sur les attentes et perspectives des partis en lice, il convient d’étudier l’évolution de la scène électorale depuis les dernières législatives de septembre 2016.

Rappelons d’abord que les 450 députés de la Douma d’État sont choisis de deux manières différentes : la moitié (225) sont élus à la proportionnelle sur les listes fédérales présentées par les partis, l’autre moitié, au scrutin majoritaire à un tour dans les 225 circonscriptions électorales que compte le pays. Les deux élections ont lieu le même jour.

En 2016, le parti présidentiel Russie unie remporta une large victoire dans la foulée du rattachement de la Crimée. Il obtint 54 % des voix à l’échelle fédérale et remporta un nombre record de 343 sièges (140 à la proportionnelle et 203 au scrutin majoritaire de circonscription). Plus important : ce résultat ne souleva pas de contestations, protestations ou scandales majeurs.

Depuis lors, le pouvoir a subi une nette usure et le taux de popularité du président Poutine est passé de plus de 80 % à 67 % en mai 2021. La réforme des retraites, très impopulaire bien que nécessaire, en est l’une des causes. Le Premier ministre d’alors, Dmitri Medvedev, a été obligé de démissionner en janvier 2020 et de se mettre en retrait de la campagne électorale actuelle puisqu’il ne figure pas sur la liste fédérale de Russie unie.

Mais si Medvedev a sérieusement souffert de la politique menée par son gouvernement, le président Poutine, en revanche, demeure aux yeux d’une majorité de la population un symbole national et le garant de la stabilité du pays. Son implication dans la campagne en faveur de Russie unie peut être un point fort pour le parti.

 Réalités politiques russes

Pour analyser la situation avant les élections et tenter de déterminer quelle pourrait être la structure de la future Douma d’État, il convient, avant tout, de tenir compte des réalités politiques russes en laissant de côté les illusions que l’on se fait en Occident.

La première de ces illusions est le poids des hommes politiques présentés régulièrement en Occident comme des « opposants numéro un », tel Alexeï Navalny. En fait, l’influence de ce dernier est faible à l’intérieur du pays. Son emprisonnement est perçu, à l’Ouest, comme la preuve que le pouvoir aurait peur de lui. En réalité, son incarcération répond essentiellement à trois facteurs objectifs : il a violé les termes de son sursis prononcés lors de sa condamnation de 2012 dans l’affaire Yves Rocher et il doit purger le restant de sa peine (2 ans et demi) ; il bénéficie de financements de l’étranger par l’intermédiaire des fondations qui le soutiennent ; et il viole régulièrement les dispositions administratives sur les manifestations dans le but d’illustrer la répression du pouvoir. Le contre-exemple a été fourni lors des démonstrations très importantes à Moscou contre la réforme des retraites qui, dans l’énorme majorité des cas se déroulèrent sans incident.

Il est évident, à ce propos, que le pouvoir prend bien soin d’écarter du processus électoral les personnalités et les formations qualifiées d’« agents de l’étranger » (comme aux États-Unis), c’est-à-dire celles qui, ayant des financements étrangers, peuvent permettre une ingérence de pays tiers dans le processus électoral et donner naissance à d’éventuels mouvements menant à des révolutions de couleur (comme en Serbie, Géorgie ou Ukraine), ce que les autorités veulent éviter.

Une autre illusion est qu’il n’y a pas d’opposition réelle. C’est faux : en plus de Russie unie, trois partis principaux se partagent les sièges de la Douma : le Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR), le Parti libéral-démocrate de Russie (PDLR) et Russie juste. Avec la domination de Russie unie sur cette législature, ces partis ont un poids fort limité sur la politique du gouvernement (comme c’est le cas en France). Mais ils ne manquent pas de donner de la voix et de conduire des protestations, comme on l’a vu au cours de la réforme des retraites. De plus lorsque, dans le passé, le parti présidentiel ne disposait pas de la majorité absolue, il devait s’engager dans des tractations difficiles avec l’opposition pour faire adopter les textes qu’il présentait.

Pour les élections du 19 septembre, en plus de ces quatre partis, dix autres formations présentent des listes fédérales. Cependant, la plupart d’entre elles ne pourront pas atteindre la barre de 5 % des suffrages nécessaire pour obtenir des députés. Avec, en tout 14 listes en présence, il est difficile de prétendre que le choix électoral est limité. De plus de nombreux candidats des petites formations locales qui n’avaient pas l’envergure de constituer des listes fédérales se présentent dans les circonscriptions.

Dernier point : la participation aux législatives est généralement faible. Elle était de 47,8 % en 2016 et les autorités s’attendent à ce qu’elle soit inférieure à 45 % en 2021.

 Enjeux du scrutin pour les partis politiques

Le 30 août dernier, le journal Kommersant rapportait dans un article[1] une étude de l’Association russe des relations publiques (RASO) qui évaluait les chances des partis politiques aux élections. Les experts étaient tous d’accord pour dire que les quatre partis représentés aujourd’hui à la Douma seraient en mesure de reconstituer des groupes dans la future chambre. Russie unie, le PCFR et le PLDR occuperaient les trois premières places, mais un nouveau parti, Nouvelles gens (Новые люди), pourrait faire son entrée au Parlement et ravir la quatrième place à Russie juste.

Naturellement, l’enjeu des élections pour le pouvoir en place est de prouver sa légitimité, ce qui nécessite la victoire de Russie unie, une transparence suffisante des procédures électorales et l’absence de scandales majeurs et de manifestations contre le truquage des élections. Ces objectifs furent atteints en 2016.

Cependant, aujourd’hui, l’adhésion à Russie unie est inférieure de près de 20 points à ce qu’elle était il y a cinq ans. En 2018, le relèvement de l’âge de la retraite a provoqué une chute des intentions de vote pour le parti présidentiel. De ce fait, il est presque certain que les résultats de 2021 seront moins bons que ceux de 2016.

Une nouveauté de ces législatives est le « vote intelligent », une stratégie électorale mise au point à l’initiative d’Alexeï Navalny pour les élections à la Douma de la ville de Moscou en 2019. Il s’agit d’éviter l’éparpillement des voix en demandant aux électeurs de l’opposition de voter pour le candidat le mieux placé face au représentant du parti du pouvoir. Cette stratégie a permis à l’opposition de gagner 19 districts sur les 45 de la ville de Moscou. En conséquence, le conseil municipal de la capitale dispose de la plus forte proportion de députés de l’opposition de toutes les localités de Russie.

Cette stratégie bénéficie essentiellement au Parti communiste qui dispose généralement des meilleurs candidats face à Russie unie. Ainsi, à Moscou, sur les 45 candidats « recommandés » par l’opposition (un par district), 33 appartenaient au PCFR.

Évidemment, cette stratégie n’est valable que pour les élections de circonscription au scrutin majoritaire à un tour. Pour les élections à la proportionnelle, chaque parti à intérêt à ne pas disperser son électoral pour disposer de la meilleure représentation.

Forces en présence

 Russie unie

Le principal défi pour le parti du pouvoir, même s’il bénéficie d’un cadre électoral favorable, est qu’il n’a essentiellement pas d’identité distincte de l’exécutif. La baisse de la cote de popularité de la présidence, l’affaire des retraites et la situation économique trouble signifient que son électorat traditionnel connaîtra une érosion certaine, ce qui s’exprime par la baisse des cotes de popularité. Elles se situent tout de même entre 27 et 35 % selon les instituts de sondage (VTsIOM, Fondation de l’opinion publique et Centre Levada).

Ainsi même s’il est infiniment peu probable que le parti atteigne le résultat de 2016 avec une majorité de 76 % des sièges, il est assuré de dominer la prochaine Douma. Compte tenu des sondages, il remporterait au moins 100 sièges sur la liste fédérale au scrutin proportionnel. Dans les circonscriptions au scrutin majoritaire, le parti avait obtenu 203 des 225 sièges en jeu. Cette fois, il est peu probable qu’il atteigne un tel score mais les sondages lui prédisent quelque 180 sièges. Il est presque assuré d’obtenir la majorité absolue (au moins 226 députés sur les deux modes de scrutin). En revanche, il ne disposera sans doute pas de la majorité qualifiée de 301 sièges qui permet d’apporter des amendements à la Constitution.

 Parti communiste de la Fédération de Russie

Lors de la législature actuelle, le Parti communiste de la Fédération de Russie est le deuxième parti parlementaire avec 43 députés. Il dispose d’un noyau électoral solide avec une grande discipline de vote, ce qui constitue un atout considérable aux élections. Cependant, ces dernières années, malgré une baisse significative de la performance de Russie unie, les résultats du PCFR aux élections régionales n’ont pas augmenté. Les principales raisons sont la lourdeur du parti et son manque de renouvellement : lors des prochaines élections, il sera encore dirigé par son chef immuable Guennadi Ziouganov.

En revanche, ce sont les candidats communistes dans les circonscriptions qui pourraient le mieux profiter du « vote intelligent », comme ce fut le cas à Moscou en 2019, puisqu’ils seront les principaux adversaires des candidats de Russie unie dans de nombreuses circonscriptions.

Les instituts de sondage déjà cités le créditent entre 10 et 12 % des intentions de vote.

 Parti libéral-démocrate de Russie

Pour sa huitième élection parlementaire, le PLDR sera conduit par le même dirigeant, Vladimir Jirinovski. La cote de ce vétéran des batailles électorales est également sur le déclin mais le parti est tellement axé sur sa personnalité qu’aucune alternative n’existe et qu’il est difficile de trouver une personnalité susceptible de le remplacer. Néanmoins, les résultats électoraux du PLDR aux dernières régionales ont montré une bonne stabilité.

Dans l’actuelle Douma d’État, il dispose de 40 sièges et fait sensiblement jeu égal avec le PCFR. Les instituts de sondage le créditent entre 11 et 12 % des intentions de vote.

 Russie juste – Patriotes de Russie – Pour la vérité

Le parti Russie juste, plutôt à gauche et présent à la Douma depuis trois législatures sous la direction de Sergueï Mironov, s’est associé pour l’élection prochaine avec les deux autres formations nationalistes Patriotes de Russie et Pour la vérité. Le parti Pour la vérité est dirigé par Zakhar Prilepine, écrivain populaire, qui jouit d’une réputation plutôt sulfureuse de nationaliste pur et dur avec une image machiste.

Néanmoins, ces trois partis unis sont dans le créneau de l’opposition modérée et semi-loyale. Ils peuvent séduire des électeurs allant de la gauche à l’extrême droite même s’il est difficile de prédire quel effet Prilepine aura sur la campagne.

Cette union fera presque certainement partie de la Douma, mais il est peu probable qu’il soit un concurrent pour et même la troisième place. Les instituts de sondage lui donnent entre 5 et 7 % des intentions de vote et il risque de se faire dépasser par un nouveau venu, la formation Nouvelles gens.

 Autres partis

Deux nouveaux partis ont l’objectif et l’espoir d’entrer à la Douma. Ils visent chacun un créneau particulier de l’électorat : Nouvelles gens, de centre droit et libéral, compte jouer sur l’aspiration à la nouveauté d’une partie de la jeunesse et des jeunes professionnels urbains. Les sondages le créditent de plus de 5 %. Quant au Parti russe des retraités pour la justice sociale, il veut tirer profit du mécontentement provoqué par le relèvement de l’âge de la retraite.

Les autres partis qui présentent des listes fédérales n’ont pratiquement aucune chance d’entrer à la Douma sur la base des listes fédérales car ils n’atteindront pas le seuil de 5 %. Parmi eux, le seul qui bénéficie d’une certaine notoriété est la formation libérale de centre gauche Iabloko. Elle est présente sur la scène politique depuis l’effondrement de l’URSS mais n’obtient que des résultats médiocres depuis près de vingt ans.

 Conclusion

Indépendamment des résultats des principales formations présentes aujourd’hui à la Douma et de l’entrée ou non de Nouvelles gens ou du Parti des retraités, le principal enjeu est de savoir si Russie unie disposera de la majorité des sièges (226) ou d’une majorité qualifiée (301).

Si le parti présidentiel obtient la majorité mais pas les deux tiers des voix, ce serait perçu comme une contre-performance, car l’objectif affiché est de conserver la majorité constitutionnelle dont il dispose actuellement. Mais le parti pourra permettre la constitution d’un gouvernement disposant d’une majorité stable et suffisante pour voter tous les types de lois. Et si une majorité qualifiée s’avérait nécessaire dans quelque situation extraordinaire, Russie unie serait en mesure d’obtenir le soutien d’autres factions sans trop de problèmes.

Ce qui est sûr, c’est que le Kremlin s’efforcera d’éviter que les élections soient fortement controversées et contestées car une telle situation rendrait une nouvelle vague de manifestations de rue pratiquement inévitable, et cette vague pourrait être plus puissante et géographiquement plus répandue que les manifestations sur la place Bolotnaïa à Moscou après les élections de 2011. Sans compter qu’une répression sévère des manifestations saperait sans aucun doute la légitimité du régime et ruinerait encore davantage son image sur le plan international. Il est probable que les autorités s’efforceront par tous les moyens d’éviter une crise de ce type.

 

[1] Уравнение с тремя известными (« Équation avec trois connues »)

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique