Échange… de vieux procédés

Échange… de vieux procédés

Épilogue de l'affaire des « illégaux »

Un échange d'espions, comme au bon vieux temps où l'URSS existait encore, était sans doute le meilleur moyen pour les États-Unis et la Russie d'enterrer l'affaire des « illégaux ». En retenant l'intérêt des médias, elle risquait de donner des « munitions » aux adversaires du rapprochement, de part et d'autre. En trouvant très vite cette solution, Washington et Moscou font preuve de bonne volonté réciproque et y trouvent chacun leur compte.

 

La fin de l'affaire aux États-Unis

Dans les films du temps de la Guerre froide, les échanges d'espions se déroulaient à l'aube, dans le brouillard, sur le pont de Glienicke entre Berlin-Ouest et Potsdam, au-dessus des eaux glacées de la Havel. Les choses sont moins mélodramatiques, aujourd'hui. Les dix « illégaux » du SVR, arrêtés le 27 juin dernier aux États-Unis (voir notre précédent article), ont simplement été expulsés du pays et embarqués à New York dans un avion pour Moscou, via Vienne.

Alors que les rumeurs sur un échange se faisaient insistantes depuis deux jours, le ministère américain de la Justice (Department of Justice) a publié un communiqué, le 8 juillet, annonçant que les dix défendeurs dans l'affaire des « illégaux » avaient plaidé coupable devant le tribunal new-yorkais chargé de leur cas et qu'ils allaient être « immédiatement expulsés des États-Unis ». Ce qui a été fait le soir même.

Si l'on examine attentivement le document, il apparaît immédiatement qu'une transaction a eu lieu entre le ministère public et les défendeurs. Alors qu'ils ont tous reconnu être des agents non-enregistrés d'un État étranger, les charges de blanchiment d'argent qui pesaient sur huit d'entre eux ont été levées, ce qui a eu pour effet de faciliter la décision de justice.

Les défendeurs ont également reconnu leurs véritables identités :

« Richard et Cynthia Murphy » s'appellent en réalité Vladimir et Lydia Guriev. Les noms de « Donald Howard Heathfield » et « Tracey Lee Ann Foley » sont en réalité Andreï Bezroukov et Elena Vavilova. Ceux de « Michael Zottoli » et « Patricia Mills », Mikhaïl Kutsik et Natalia Pereverzeva. Et, pour finir, « Juan Lazaro » est Mikhaïl Vassenkov.

Anna Chapman, Mikhaïl Semenko et Vicky Pelaez comparaissaient sous leurs vrais noms. Tous, à l'exception de Vicky Pelaez, ont admis être des ressortissants de la Fédération de Russie.

Sceau du KGBVicky Pelaez, qui a une double nationalité, américaine et péruvienne, a décidé de retourner à son pays natal, le Pérou. Elle a certes été embarquée dans le même avion que ses compagnons, mais Moscou ne sera, pour elle, qu'une escale. Avec son compagnon Mikhaïl Vassenkov (dit Juan Lazaro), elle était la plus ancienne de ce groupe d'« illégaux » : l'organisme qui était encore la Première Direction principale du KGB (devenu par la suite le SVR) les avait implantés aux États-Unis, il y a quelque vingt ans, alors que l'URSS existait encore.

La contrepartie russe

Dans le même temps, en Russie quatre personnes condamnées pour espionnage en faveur des États-Unis et du Royaume-Uni ont été graciées par le président Medvedev. Il s'agit d'une véritable contrepartie, comme l'expose le communiqué du Department of Justice :

« Les États-Unis ont accepté de transférer ces individus [les dix « illégaux »] sous la garde de la Fédération de Russie. En échange, la Fédération de Russie a accepté de relâcher quatre individus qui sont incarcérés en Russie pour des contacts présumés avec des services de renseignements occidentaux ».

Ces quatre personnes sont :

Igor SoutiaguineIgor Soutiaguine (voir sa bio en anglais) était un spécialiste des armements nucléaires à l'Institut de États-Unis et du Canada, à Moscou. En 2004, il a été déclaré coupable de haute trahison pour avoir transmis des informations aux services de renseignement américains et condamné à quinze ans de détention en camp à régime sévère.

Alexandre Zaporojski est un ancien colonel du SVR. En 2003, un tribunal militaire russe l'a condamné à dix-huit ans de détention dans un camp à régime sévère pour haute trahison et espionnage en faveur des États-Unis.

Sergueï Skripal (voir sa bio en anglais) est également un ancien colonel qui travaillait dans le renseignement militaire au sein de l'armée russe. Les détails de son affectation ne sont pas connus mais, bien que certaines sources prétendent qu'il appartenait au FSB (contre-espionnage militaire), il pouvait être un officier du GROu (le service de renseignements de l'armée russe). Il a été condamné à treize ans de détention pour haute trahison et espionnage en faveur du Royaume-Uni.

L'identité de la quatrième personne, Guennadi Vassilenko, n'est pas claire, il pourrait s'agir d'un ancien agent du KGB arrêté en 1998 parce qu'il était soupçonné d'espionnage en faveur des États-Unis, mais il fut relâché au bout de six mois et aucune charge ne fut retenue contre lui. En 2005, il a été arrêté de nouveau, pour détention illégale d'arme à feu, alors qu'il travaillait comme chef de la sécurité de la chaîne de télévision russe NTV et condamné à 3 ans de détention. Si cette information est vraie, il aurait dû être relâché en 2008.

En tout cas, ces quatre détenus ont été graciés par le président Medvedev après avoir reconnu leur culpabilité pour les faits qui leur étaient reprochés et qui leur ont valu leur condamnation. Cela ne signifie pas évidemment que ce soit vrai : ils ont très bien pu admettre leur faute simplement en échange d'une libération immédiate.

Game over

L'affaire des « illégaux » a trouvé ainsi un épilogue qui, vraisemblablement, marquera la fin d'une époque. Il est peu probable que les services russes maintiennent leurs programmes d'implantation d'illégaux. Avec les techniques modernes, il devient de plus en plus difficile de construire des « légendes » totalement crédibles pour des agents. De plus, cette histoire a montré le manque de professionnalisme de ces « illégaux » comme de leurs officiers traitants. L'un de ces agents s'appelle Bezroukov, ce qui vient en russe de « Sans Bras » : tout un symbole pour une équipe de bras cassés.

Mais l'affaire tend à démontrer que le contre-espionnage américain n'est pas mieux loti : la manière dont le FBI a cherché à manipuler Chapman et Semenko ne semble pas non plus très professionnelle, comme nous l'indiquions dans notre précédent article.

L'« échange » met ainsi un terme à un double ratage qu'il vaut sans doute mieux, pour les services concernés, envoyer aux archives et oublier.

Il n'en reste pas moins que Barack Obama et Dmitri Medvedev sont parvenus à démontrer que leur rapprochement était sur de bons rails et à l'abri d'incidents fâcheux, comme les affaires d'espionnage. De plus, les Américains se sont montrés beaux joueurs car, en acceptant l'échange, ils ont permis aux Russes de sauver la face en montrant que les Occidentaux aussi, pratiquaient l'espionnage.

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique