Espionnage : Burn After Reading à Washington ?

Espionnage : Burn After Reading à Washington ?

À propos de l'affaire des espions « illégaux » aux États-Unis

Remettre les compteurs à zéro. C'est en substance ce qu'avaient décidé les présidents Obama et Medvedev début 2009 pour relancer les relations entre leurs deux pays. Depuis près d'un an et demi, cette embellie s'est concrétisée sur les plans stratégique, diplomatique et économique. Il restait un secteur à remettre à zéro : celui de l'espionnage. C'est aujourd'hui en train de se faire. Dans des circonstances tragicomiques.

 

L'affaire des « illégaux », réseau d'espionnage en faveur de la Russie, dévoilée le 28 juin par un communiqué du ministère américain de la Justice (Departement of Justice) n'a pas manqué d'être interprétée comme un signe de nouvelles tensions entre les deux pays et cela alors que les présidents américain et russe s'étaient rencontrés à plusieurs reprises la semaine précédente, d'abord aux États-Unis dans le cadre de la visite de Dmitri Medvedev, puis à Huntsville et Toronto pour le G8 et le G20. Ils avaient affirmé leur bonne entente, notamment en mangeant des cheeseburgers, à la bonne franquette, dans un restaurant de Washington.

 

L'affaire, selon la presse, était digne des grands moments de la guerre froide. Elle ressemblait à un scénario d'espionnage à mi-chemin entre James Bond et L'Espion qui venait du froid, avec un soupçon de Un Espion en trop (Telefon), avec Charles Bronson, où des agents dormants soviétiques aux États-Unis sont activés par des coups de fil qui les mettent en transe télépathique pour commettre des attentats.

En fait, lorsque l'on examine attentivement les plaintes déposées par le FBI contre les membres du réseau présumé (ou les membres présumés du réseau), on se rend compte qu'au lieu des œuvres de John Le Carré, l'affaire évoque plutôt le remarquable film des frères Cohen Burn After Reading, où une bande de bras cassés plus nuls les uns que les autres se retrouvent embringués dans une affaire d'espionnage aussi improbable que ridicule. Et c'est un titre de Shakespeare qui vient aussitôt à l'esprit : Beaucoup de bruit pour rien (ou, du moins, beaucoup de bruit pour pas grand chose).

Les faits

Que sont les « illégaux » ?

Selon le FBI (Federal Bureau of Investigation), les personnes impliquées constituaient un réseau d'agents « illégaux », travaillant pour une puissance étrangère, la Russie.

Le terme « illégal » est d'origine soviétique et a été utilisé par les services de renseignement de l'URSS puis par ceux de la Fédération de Russie : à l'origine, il désignait les espions — de citoyenneté soviétique, mais aussi souvent autochtones — qui travaillaient à l'étranger sans couverture diplomatique et n'avaient donc pas de statut « légal » dans le pays où ils agissaient (ce qui ne signifie évidemment pas que l'espionnage soit « légal » pour les diplomates).

Sceau officiel du FBILes « illégaux » peuvent être actifs ou dormants. Dans les deux cas, leur travail consiste à se fondre dans la foule, à passer inaperçus dans leur pays cible (en se faisant passer pour des autochtones) et à remplir les missions que le Centre leur confie. Les missions des « actifs » peuvent être de courte durée. Le but des « dormants » est de s'établir sur place, de mener une vie normale de citoyens modèles, de faire carrière — si possible dans des secteurs sensibles — jusqu'à des postes de confiance qui leur permettent soit d'obtenir des informations sensibles, soit d'avoir accès à des personnes qui détiennent de telles informations, soit de mener une action conforme aux intérêts de leur pays d'origine (influence, sabotage, etc.).

L'utilisation d'« illégaux » dormants par des services de renseignement est très délicate car le Centre, quel qu'il soit, ne peut jamais être sûr qu'un agent plongé pendant des années ou des dizaines d'années dans un autre pays ne finira pas par adopter les valeurs de ce dernier et oublier son allégeance de départ. Pour cette raison, même les « dormants » ne peuvent pas être laissés en sommeil trop longtemps. Il faut des contacts périodiques pour vérifier que tout va bien et des missions, même inutiles, pour maintenir le niveau de compétence. Il faut aussi de l'argent pour permettre aux agents d'avoir un train de vie raisonnable, compatible avec leur « légende », en d'autres termes leur faux passé entre leur naissance et le moment où ils ont été implantés en territoire étranger.

Les charges du FBI contre les membres du réseau d'« illégaux ».

C'est justement ce que les autorités américaines reprochent aux dix personnes inculpées et à la onzième, pour le moment toujours en fuite : d'être des agents d'une puissance étrangère et de blanchiment d'argent. Le mot « blanchiment » évoque généralement des capitaux importants en provenance de paradis fiscaux. Dans le cas de nos « illégaux », il s'agit, plus modestement, de leurs rémunérations, le défraiement de frais divers et les provisions allouées pour leurs missions.

Il est à noter que la justice américaine ne les accuse pas d'espionnage.

Les plaintes sont au nombre de deux. En voici l'essentiel (les liens renvoient au texte intégral sur le site du FBI :

Plainte n° 1 :

Les États-Unis d'Amérique contre Anna Chapman et Mikhail Semenko.

La plainte pour violation du Titre 18, § 371 du Code des États-Unis (U.S.C.) est déposée par l'agent spécial du FBI Amit Kachhia-Patel, au nom des États-Unis d'Amérique, auprès de l'Honorable Ronald L. Ellis, juge fédéral, district sud de New York, avec l'approbation de Michael Farbianz, assistant du Procureur des États-Unis (Assistant United States Attorney).

Ils sont accusés de conspiration en vue agir en tant qu'agents non-enregistrés d'un gouvernement étranger (ils risquent jusqu'à cinq ans de prison).

Selon l'acte, Chapman et Semenko ont violé la loi des États-Unis en agissant, avec d'autres, connus et inconnus, comme agents de la Fédération de Russie sans en avoir avisé les autorités et cela depuis les années 1990.

Le 26 juin dernier, à New York, Anna Chapman rencontra un individu se présentant comme un « fonctionnaire de l'État russe » qui lui remit un faux passeport.

Le même jour, à Washington, Mikhail Semenko, rencontra un autre individu prétendant être lui aussi un fonctionnaire russe.

En réalité, les deux prétendus fonctionnaires étaient des agents américains sous couverture (undercover agents) répondant respectivement aux noms de code d'UC-1 et UC-2.

C'est dans le cadre d'une enquête menée par le FBI depuis de nombreuses années (en fait, depuis au moins dix ans, si l'on en croit la plainte n°2 examinée plus bas) que Chapman et Semenko ont été identifiés comme faisant partie d'un réseau d'agents « illégaux » travaillant pour le compte du SVR, le Service des renseignements extérieurs russe (Служба внешней разведки Российской Федерации).

Sceau officiel du SVRD'après un document du SVR déchiffré par le FBI en 2009 (date exacte non précisée), la mission des membres du réseau était la suivante :

« Vous avez été envoyés aux États-Unis pour une mission à long terme. Votre éducation, comptes en banque, voiture, maison, etc. — toutes ces choses ne servent qu'un but : remplir votre mission qui est de rechercher et de développer des liens dans les cercles politiques américains et envoyer des [rapports] au [Centre]. »

Le résultat de la surveillance de ces deux « illégaux » est relativement maigre : depuis le 20 janvier 2010, Chapman a communiqué une dizaine de fois avec un membre de la Mission russe aux Nations unies, à Manhattan, par l'intermédiaire d'un réseau privé sans fil d'ordinateur à ordinateur. Quant à Semenko, une seule communication avec un fonctionnaire russe en poste à Washington a été détectée le 5 juin dernier.

Il ressort de la plainte que, dans le but d'obtenir des informations et d'impliquer Chapman et Semenko, le FBI décida d'envoyer les agents sous couverture UC-1 et UC-2. (Pour les lecteurs anglophones, le compte rendu du dialogue entre Chapman et UC-1 est particulièrement savoureux).

Au cours de leur rencontre, UC-1 remit à Chapman un faux passeport destiné à une tierce personne et insista pour qu'elle aille la rencontrer le lendemain 27 juin à un endroit déterminé pour lui donner le document. Cette personne était censée être une « illégale », mais il s'agissait d'un autre agent du FBI sous couverture.

En partant, Chapman effectua un parcours de sécurité à travers différents magasins et acheta sous un faux nom un téléphone mobile et une carte prépayée utilisable pour les communications internationales.

Le point 23 de la plainte est particulièrement intéressant : Chapman ne se présenta pas au rendez-vous prévu pour le lendemain. Nous verrons plus loin ce qu'elle fit.

À l'inverse, à Washington, Semenko exécuta correctement la mission que lui confia UC-2 : aller placer une enveloppe contenant 5 000 dollars dans une boîte à lettres morte à Arlington.

Plainte n° 2

Les États-Unis d'Amérique contre :

Défendeur n°1, dit « Christopher R. Metsos »,

Défendeur n°2, dit « Richard Murphy »,

Défendeur n°3, dit « Cynthia Murphy »,

Défendeur n°4, dit « Donald Howard Heathfield »,

Défendeur n°5, dit « Tracey Lee Ann Foley »,

Défendeur n°6, dit « Michael Zottoli »,

Défendeur n°7, dit « Patricia Mills »,

Défendeur n°8, dit « Juan Lazaro »

et Vicky Pelaez.

Cette fois, la plainte pour violation du Titre 18, §§ 371 et 1956 de l'U.S.C. est déposée par l'agent spécial du FBI Maria L. Ricci, au nom des États-Unis d'Amérique, auprès de l'Honorable James L. Cott, juge fédéral, district sud de New York, toujours avec l'approbation de Michael Farbianz, assistant du Procureur des États-Unis (Assistant United States Attorney).

On remarque qu'à l'exception de Vicky Pelaez, tous les défendeurs apparaissent sous leurs noms d'emprunt. Tous ont été arrêtés par le FBI, le 27 juin, à l'exception de Christopher Metsos qui s'est enfui à Chypre.

Ils sont tous accusés de conspiration en vue agir en tant qu'agents non-enregistrés d'un gouvernement étranger (article 371 — actes punis de cinq ans de prison maximum) et de conspiration pour commettre du blanchiment d'argent (article 1956 — jusqu'à vingt ans de prison). Aucun n'est accusé d'espionnage.

Ils se faisaient tous passer pour des citoyens américains ou canadiens, à l'exception de Juan Lazaro, qui prétendait être un citoyen péruvien, né en Uruguay, et Vicky Pelaez qui est vraiment une citoyenne américaine, née au Pérou. À l'exception de Metsos, qui ne résidait pas aux États-Unis, mais y faisait des voyages fréquents, ils formaient tous des couples censés mener une vie de famille normale. Metsos ne semble pas être un « illégal » à proprement parler, mais plutôt un officier plus important du SVR utilisé comme agent traitant.

Lazaro et Pelaez étaient installés aux États-Unis depuis plus de vingt ans. Quant aux autres : depuis le milieu des années 1990 pour les Murphy, depuis 1999 pour Heathfield et Foley, depuis 2001 et 2003 pour Zottoli et Mills.

Selon différents points de la plainte, le FBI enquêtait sur le réseau au moins depuis le 14 janvier 2000 lorsque, dans un pays d'Amérique du Sud, Pelaez reçut un paquet contenant de l'argent de la part d'un représentant de l'État russe. Les autres accusés ont également touché de l'argent de source russe entre 2004 et 2009.

Ils utilisaient divers moyens de communiquer secrètement, notamment la « stéganographie » (ou l'art de coder un message dans les pixels d'une photo transmise par Internet) et les radiogrammes (ou brèves émissions de données codées transmises par radio).

Au vu des informations contenues dans la plainte, il ne semble pas que leurs sources occupaient des postes majeurs dans le système politique américain et il est impossible de se faire une idée de l'importance des renseignements qu'ils ont pu communiquer en raison des formulations floues de la plainte. En revanche, il semble que Lazaro se soit fait copieusement réprimander par le Centre parce qu'il envoyait des informations non sourcées et donc inexploitables.

Much ado about nothing?

Une affaire qui n'aurait jamais dû avoir lieu

La première conclusion que l'on peut en tirer de la lecture des deux plaintes est que cette affaire n'aurait jamais dû se produire.

En effet, si le rôle d'un service de contre-espionnage est bien d'arrêter des espions, il n'est pas toujours judicieux de le faire. Ainsi, lorsque l'on enquête depuis au moins dix ans sur un réseau étranger, que l'on connaît la plupart de ses membres et qu'on est en mesure non seulement d'identifier les nouveaux qui peuvent arriver (cela semble être le cas de Chapman et Semenko), mais encore leurs agents traitants qui travaillent sous couverture diplomatique, on a intérêt à poursuivre la surveillance le plus longtemps possible. En tout cas, tant que le réseau ne met pas en danger la sécurité du pays. Il vaut mieux garder à l'œil des espions que l'on connaît plutôt que de les arrêter et de conduire ainsi le service adverse à tirer les enseignements de son échec et mettre au point de nouvelles techniques pour que cela ne se reproduise pas. Plus difficiles à démasquer, les nouveaux agents qu'il implantera seront d'autant plus dangereux.

De ce point de vue, cette affaire est contraire aux intérêts du FBI. Reste à savoir pourquoi cette « bourde » (si cela en est une) a été commise.

Pourquoi l'affaire a-t-elle eu lieu ?

La réponse est simple : parce que le FBI a tenté de manipuler Chapman et Semenko.

Le sens des rencontres d'UC-1 et d'UC-2 avec les deux Russes n'est pas clair. Que voulait le FBI ? Démasquer les deux agents en accumulant des preuves contre eux ? Ou tenter de les retourner en les confrontant aux preuves de leurs agissements ?

D'une manière ou d'une autre, c'est un comportement un peu léger dans la mesure où toute erreur risquait de ruiner au moins dix années de travail. Car le risque était important que l'un des deux « illégaux » soit alerté par le comportement ou les paroles de son interlocuteur qui n'était pas forcément au courant de tous ses rapports avec le Centre et ses véritables officiers traitants.

En tout cas, UC-1 n'a pas dû être convaincant car Chapman s'est dépêchée d'acheter une carte SIM prépayée pour contacter ses supérieurs.Les instructions reçues ont sans doute été les suivantes : ne pas se rendre au rendez-vous fixé et aller remettre le faux passeport à un poste de police. 

Voilà donc l'origine de l'affaire. À partir du moment où le FBI a su de manière certaine, le 27 juin, que le Centre était au courant de la tentative de manipulation de Chapman, la seule solution était d'arrêter tout le monde immédiatement avant de permettre au SVR de les exfiltrer.

Hypothèses alternatives

Lorsque quelque chose qui ne devait pas avoir lieu se produit tout de même, cela peut être dû à des circonstances imprévues ou à des erreurs humaines, bourdes, actes irréfléchis ou mal préparés, etc. (cela se produit bien plus souvent qu'on ne pense).

Il est cependant impossible d'écarter l'idée que ces erreurs humaines ne soient qu'un rideau de fumée pour masquer d'autres intentions. Il existe deux groupes d'hypothèses en ce sens :

1) Tentative de déstabilisation. Certains éléments à l'intérieur du FBI ou de l'administration américaine auraient voulu contrarier le rapprochement russo-américain en cours. Leur but aurait été non seulement de montrer que les bonnes vieilles méthodes de la guerre froide avaient toujours cours à Moscou, mais encore d'inciter les Russes à répliquer d'une manière équivalente, relançant ainsi une spirale de récriminations réciproques.

2) Tentative de remettre les « compteurs à zéro ». L'administration américaine, aurait voulu signifier aux Russes que, dans la situation actuelle de rapprochement, la présence d'« illégaux » sur le territoire américain ne se justifiait plus. Dans cette optique, le choix de la méthode semble surprenant. Plutôt que d'agir de cette manière radicale, les autorités de Washington auraient pu utiliser des voies plus diplomatiques. Peut-être ont-elles prévenu les Russes qui ont fait la sourde oreille ?

Résultats

Au vu des résultats obtenus, aucune des deux hypothèses alternatives n'est satisfaisante. S'il y a eu une tentative de déstabilisation elle a tourné court pour une raison évidente : l'absence d'enjeu réel. La tentative de remettre volontairement les « compteurs à zéro » n'est pas très crédible, même si c'est le résultat, sans doute involontaire, auquel toute l'affaire va aboutir.

a) Absence d'enjeu réel

Lorsque la mission d'un réseau est « de rechercher et de développer des liens dans les cercles politiques américains », on peut douter de son efficacité réelle en termes de résultats concrets.

Pourquoi ? Cela tient aux particularités du renseignement politique : il ne s'agit pas de voler des secrets militaires ou industriels, mais de déterminer l'évolution possible de tel ou tel pays en fonction de sa situation intérieure et des forces politiques en présence. C'est une activité légitime que tous les États pratiquent sans exception. Il est important pour un gouvernement de connaître la position des principaux hommes politiques étrangers sur les dossiers qu'il juge importants et de se préparer de la meilleure façon possible aux changements dans le monde qui l'entoure.

Or, obtenir l'avis d'un homme politique ou d'un expert sur une situation donnée n'est pas un crime. C'est l'activité de tous les correspondants de presse en poste dans un pays étranger. Voilà pourquoi les « illégaux », une fois arrêtés, n'ont pas été accusés d'espionnage.

Il semble bien que la mission « politique » du réseau n'était, pour le SVR, qu'un moyen de garder les « illégaux » en activité sans créer vraiment de problèmes au pays cible. Si les onze défendeurs avaient eu des activités vraiment dangereuses pour la sécurité des États-Unis, le traitement du dossier par le FBI aurait été différent, ainsi que les charges retenues contre eux.

D'où la conclusion paradoxale suivante : les Russes s'entraînaient, à toutes fins utiles, à maintenir un réseau d'« illégaux » mis en place à une autre époque et certainement dans d'autres buts, alors que les Américains s'entraînaient à perfectionner leurs techniques de contre-espionnage en les surveillant pendant dix ans ou plus sans intervenir.

b) Remise des compteurs à zéro

Un autre paradoxe de cette histoire est qu'au lieu de les embrouiller, elle semble avoir clarifié les relations russo-américaines dans le domaine toujours controversé de l'espionnage. Les deux parties ont fait preuve d'une retenue plutôt inhabituelle dans ce genre d'affaires. D'abord, le document russe décodé par le FBI en 2009 montre que le SVR cantonnait ses « illégaux » dans le renseignement politique au moins depuis cette époque. Les Américains n'ont pas inculpé les défendeurs d'espionnage, mais d'agir clandestinement pour le compte d'un État étranger et pour la plupart d'entre eux de faire entrer de l'argent de source illégale dans le pays (blanchiment).

Conférence de presse quotidienne par l'adjoint au secrétaire d'État américain Philip J. CrowleyEn d'autres époques, une telle affaire se serait accompagnée de l'expulsion des diplomates russes identifiés comme agents traitants, au moins de Chapman et Semenko. Or cette possibilité a été exclue par Philip J. Crowley, adjoint au secrétaire d'État américain lors du briefing de presse du 30 juin dernier. À cette occasion, il précisait :

« Nous poursuivons notre dialogue avec les officiels russes, aussi bien ici, à Washington qu'à Moscou. Et comme nous l'avons déjà dit clairement et je pense que les officiels à Moscou l'on dit clairement, nous allons travailler aussi dur que possible pour dépasser [cette affaire] et continuer à nous focaliser sur les nombreux dossiers dans lesquels nous avons des intérêts communs. »

Cette déclaration fait référence à un commentaire plutôt inhabituel du ministère russe des Affaires étrangères publié la veille, le 29 juin :

« Vu les accusations portées par les États-Unis contre un groupe de personnes soupçonnées d'espionnage en faveur de la Russie, nous informons qu'il s'agit de citoyens russes qui se sont retrouvés sur le territoire des États-Unis à des époques différentes. Ils n'ont commis aucune action contre les intérêts des États-Unis.

Nous comptons que les autorités américaines leur garantiront un traitement normal sur leurs lieux de détention, ainsi que l'accès des employés consulaires de Russie et des avocats.

Nous espérons que la partie américaine fera preuve de compréhension dans ce problème, notamment en raison du caractère positif de l'étape actuelle du développement des relations russo-américaines. »

Il semble bien que ce soit la première fois que les autorités russes reconnaissent que des citoyens de leur pays sont impliqués dans une affaire de renseignement.

Ce « commentaire » est intervenu dès le lendemain de l'arrestation, ce qui tend à démontrer que l'agacement manifesté par les autorités russes à cause du mauvais « timing » de l'affaire, intervenue tout de suite après la visite de Medvedev aux États-Unis n'a pas duré longtemps. En fait, le président Obama était certainement depuis longtemps au courant de la présence des « illégaux » (il était peu probable que cela n'ait pas été mentionné lors de ses briefings avec le directeur du FBI). En revanche, il ne pouvait pas être informé des arrestations qui ont été visiblement décidées en urgence dans l'après-midi du 27 juin, alors que les travaux du G20 de Toronto, auquel participaient les deux présidents, venaient de se terminer. Le premier moment de surprise passé, les autorités russes en ont déduit qu'Obama ne leur avait tendu aucun piège et que la politique de coopération pouvait se poursuivre.

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique