Selon les experts américains de la défense, le budget alloué par le Congrès des États-Unis pour la fourniture d’armement à l’Ukraine diminue à un rythme accéléré alors que les stocks du Pentagone sont en train de s’épuiser[1].
Sur les 48,9 milliards USD alloués à l’aide militaire à Kiev depuis février 2022 quelque 36,4 milliards ont été livrés, contractés ou engagés. Selon les rapports, les 11,3 milliards qui restent seront épuisés au plus tard en septembre.
L’allocation la plus récente (1,2 milliard USD début mai) a été accordée dans le cadre de l’Initiative d’assistance à la sécurité des États-Unis (U.S. Security Assistance Initiative), ce qui signifie que la fabrication des systèmes de défense aérienne, des obus d’artillerie et des munitions supplémentaires qui ont été promis va être confiée à des industriels américains de la défense et ces armements ne pourront être expédiés que dans plusieurs mois. Ces délais étaient également la norme des allocations précédentes. Pour assurer un approvisionnement continu des forces armées ukrainiennes, les États-Unis ont utilisé une prérogative de la Maison Blanche appelée Presidential Drawdown Authority[2] qui a permis envoyer des armes à l’Ukraine directement à partir des stocks du Pentagone. Selon le département de la Défense, il y a eu 37 retraits de ce type totalisant plus de 21 milliards USD d’armes et de fournitures depuis le début de la crise ukrainienne.
Le problème est que les analystes indiquent que les stocks américains de HIMARS, missiles Javelin, missiles Stinger et obus d’artillerie de 155 mm ont trop diminué depuis la fin de l’année dernière et que les industriels ont beaucoup de difficultés à suivre. C’est la raison pour laquelle, à en croire l’article du Responsible Statecraft cité en note, les États-Unis se sont lancés dans une collecte de munitions « frénétique » auprès de leurs alliés et partenaires. « Certains, comme la Corée du Sud, ont résisté mais ont trouvé un moyen de s[e] conformer » aux instructions de Washington. Selon le Wall Street Journal, les États-Unis ont envoyé à l’Ukraine plus d’un million d’obus de 155 mm, mais les alliés et partenaires en ont envoyé encore davantage. De plus, les membres de l’OTAN ont fourni presque tout ce qu’ils avaient dans leurs propres stocks pour soutenir la contre-offensive annoncée de l’Ukraine.
Résultat : les industriels américains de la défense sont incapables de fournir les équipements et munitions nécessaires pour tenir le rythme d’utilisation sur le champ de bataille et ils ont besoin de capacités de production supplémentaires pour augmenter la production. Pour cela, ils doivent obtenir des investissements supplémentaires : beaucoup plus que le peu qui reste des aides votées par le Congrès (11,3 milliards USD comme nous l’avons vu plus haut).
En d’autres termes, sans une nouvelle rallonge budgétaire, le flux d’équipements vers l’Ukraine serait largement perturbé et Kiev devrait s’attendre à une interruption des livraisons dans un avenir proche. Sans compter que la diminution excessive des stocks américains crée des risques pour les capacités de défense des États-Unis.
De l’avis général, un nouveau programme d’aide massive doit être lancé et l’on s’étonne que l’administration Biden n’ait pas encore sollicité le Congrès pour une nouvelle attribution de crédits ou une rallonge de l’affectation précédente. La principale explication à ce retard se trouve sans doute dans la position des membres républicains du Congrès qui craignent que l’économie américaine ne puisse pas se permettre de poursuivre ce qui est devenu la guerre américaine la plus chère de l’histoire, alors que les dépenses explosent et qu’un débat sur le plafond de la dette fait rage. Ces congressistes ont déclaré qu’ils ne soutiendraient pas un autre « chèque en blanc » à l’Ukraine faute d’un plus grand contrôle des livraisons pour éviter les détournements. Ils demandent aussi la mise en place d’une stratégie diplomatique permettant de mettre fin à la guerre avant de soutenir un autre paquet de plusieurs milliards USD.
Une explication complémentaire se trouve sans doute dans la situation politique américaine. Alors que la classe politique américaine va entrer dans la campagne des primaires pour choisir les futurs candidats à la présidentielle de novembre 2024, le soutien des Américains à la guerre faiblit. Selon un sondage cité dans le même article, la proportion de répondants démocrates prêts à soutenir l’Ukraine, même si cela signifiait une hausse des prix de l’énergie dans le pays, est passée de 80 % en octobre 2022 à 65 % en avril dernier.
Il ne fait guère de doute que ce chiffre continuerait à baisser faute de résultats tangibles de la politique de l’administration dans l’aide à Volodymyr Zelensky et au gouvernement de Kiev. De ce fait, l’offensive prévue – si elle a lieu – doit pouvoir être présentée comme victorieuse, au moins partiellement. Dans le cas contraire, comme l’indiquent les documents du Pentagone qui ont fuité, il faudrait admettre que la guerre est perdue et ne pas s’entêter à vouloir la poursuivre. Dès lors, la diplomatie américaine devrait trouver le moyen d’engager des négociations assez vite. Un enlisement de la guerre jusqu’à l’élection présidentielle serait particulièrement dommageable pour le candidat démocrate. Le pire pour lui serait l’effondrement de l’Ukraine dans les derniers mois avant le premier mardi de novembre[3].
[1] Voir notamment les articles de Sam Skove “US Aid to Ukraine On Track to Run Out in September” (Defense One, 16 mai 2023) et de Kelley Beaucar Vlahos “Ukraine aid — and US stockpiles — are running out. What’s next?” (Responsible Statecraft, 17 mai 2023).
[2] Cet outil permet au président des États-Unis, en vertu de l'article 506(a) de la loi sur l'assistance étrangère (FAA), d’ordonner des retraits de matériel à partir des stocks du département de la Défense (DoD) pour fournir une assistance militaire rapide aux pays étrangers et aux organisations internationales pour répondre aux urgences imprévues. Les équipements attribués peuvent commencer à arriver quelques jours, voire quelques heures, après l'approbation.
[3] Évidemment, il est toujours possible que le gouvernement américain décide une intervention directe en Ukraine si les choses tournaient vraiment mal pour les Ukrainiens. Dans ce cas, il est impossible de prévoir ce qui pourrait arriver. Sans doute le pire.