Dans une interview donnée à Sud Radio, le 19 mai dernier (écouter ici), j’expliquais que le G7, qui s’est réuni cette fin de semaine à Hiroshima (Japon), vivait ses dernières heures d’hégémonie. Mon raisonnement se fondait sur le constat que les sanctions édictées contre la Russie par le monde occidental, dont le G7 est la quintessence, ne fonctionnaient que très mal.
Rappelons que le but avoué des mesures prises contre Moscou était, selon les termes du ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, le 1er mars 2022, de « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » dans le but de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Les sanctions, affirmait-il péremptoire, étaient d’une « efficacité redoutable ». Près de quinze mois plus tard, on ne peut que constater à quel point il avait raison !
Il faut dire à la décharge du ministre que, jusqu’à l’année dernière, peu de dirigeants occidentaux s’étaient rendu compte combien le monde avait changé et à quel point leurs attitudes de « donneurs de leçons » indisposaient la plupart des pays de la planète. En effet, même si, aux Nations unies, une majorité d’États ont condamné l’intervention russe en Ukraine (les déclarations de bonnes intentions, surtout non contraignantes[1] sont toujours faciles), aucun n’a accepté d’appliquer les sanctions, à l’exception des États-Unis, des pays européens, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan et de Singapour. Il est clair que lorsque 80 % de la planète continue à faire des affaires avec la Russie, il est difficile à un groupe limité de pays, indépendamment de son poids économique, d’imposer réellement son régime de sanctions tant les possibilités de le contourner sont grandes.
Dans un article de The Independent (19 mai 2023), la journaliste Mary Dejevsky, ancienne correspondante à Moscou, Paris et Washington, se posait la même question que moi : « Pourquoi le monde riche ne peut plus dicter ses conditions » au reste de la planète. Elle constatait, comme moi, que le G7 « ressemble plus à une relique de l'après-guerre qu'à la force opérationnelle qu'elle prétend être ».
Pour s’en persuader, il suffit de constater que ce club, censé réunir les sept pays les plus industrialisés, n’est plus qu’une illusion. En effet, elle exclut du palmarès la Chine et l’Inde, respectivement 2e et 6e selon le classement du FMI en 2022. Cela signifie que le Canada et l’Italie figurent à la 8e et 9e places. Il faut également tenir compte du fait que l’Italie est talonnée par le Brésil et la Russie.
D’ailleurs, à en croire les rapports de la société de conseils en investissements Acorn Macro Consulting, le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud qui constituent une alternative au G7) a dépassé ce dernier en termes de PIB en parité de pouvoir d'achat[2]. Grâce à leur croissance, les BRICS contribuent désormais à hauteur de 31,5 % au PIB mondial, contre 30,7 % pour le G7. Il est probable que, en dépit des efforts de réindustrialisation annoncés par certains pays des Sept, notamment les États-Unis et la France, le différentiel entre les deux groupes continuera de se creuser.
D’une certaine manière, et pour reprendre les termes de Mary Dejevsky, la réunion du G7 à Hiroshima a constitué « l’adieu le plus emblématique à l'ancien ordre mondial ». La déclaration finale de la conférence en offre une illustration toute particulière : elle stipule que les pays du G7 s'efforceront de « prévenir encore plus la fraude et le contournement » des sanctions contre la Russie. Or, dans les jours précédant le sommet, le 16 mai plus précisément, Josep Borrell, le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, donnait un aperçu de ce que serait la ligne de fermeté non seulement de l’Union européenne, mais de l’ensemble des pays du G7 en confiant au Financial Times que la vente de produits pétroliers russes raffinés par des pays tiers, tels que l'Inde, devrait faire l'objet de sanctions. Et il précisait : « Si du diesel ou de l'essence venant d'Inde et produit avec du pétrole russe entre en Europe, c'est un contournement des sanctions, et les États membres doivent prendre des mesures. »
Quelques jours après le sommet, le 23 mai, la réalité de la situation internationale a semblé s’imposer aux bureaucrates de l’UE et Borrell a déclaré benoîtement dans une intervention au Conseil de l’Union européenne : « Si l’Inde achète du pétrole russe, c’est légal » ! Et il a ajouté : « Je ne blâme pas l'Inde, non pas parce que je veux éviter des problèmes, mais parce que nos sanctions ne s'étendent pas au-delà de notre territoire. Je ne peux pas imposer une volonté quelconque aux autorités indiennes. » En termes polis, cela s’appelle « manger son chapeau ».
Comme on peut le constater, un peu plus d’un an après les rodomontades du ministre Le Maire et d’autres plus récentes mais du même effet, les déclarations quasi martiales d’un haut responsable européen ont été très largement suivies d’effet !
[1] Rappelons que les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies prises au titre du Chapitre VI de la Charte sont de simples recommandations. C’est le cas ici. En revanche, celles adoptées par le Conseil de Sécurité au titre du Chapitre VII, ont un caractère contraignant qui s’impose à tous les États membres et peuvent être exécutées par la force.
[2] Concept utilisé en économie pour comparer les niveaux de vie et les prix entre différents pays. La PPA (en anglais PPP – purchasing power parity) mesure la quantité de biens et de services qu'une unité monétaire peut acheter dans différents pays, en prenant en compte les différences de niveaux de prix. Elle permet aussi d’atténuer le poids du secteur des services qui joue aujourd’hui un rôle disproportionné par rapport à la production dans le calcul du PIB de la plupart des pays occidentaux.