Géopolitique : La Russie face à l'Occident selon Dmitri Medvedev
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie

Géopolitique : La Russie face à l'Occident selon Dmitri Medvedev

Comme on le sait, Dmitri Medvedev, ancien président, ancien Premier ministre et actuel vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, écrit de manière plus que directe sur sa chaîne Telegram où il éreinte régulièrement les Occidentaux dans des messages cinglants et irrévérencieux[1]. Cependant, loin des formules choc et des exagérations qui lui sont habituelles, il a exprimé sa vision du conflit entre la Russie et l’Occident dans un article publié le 2 juillet dernier par le journal Rossiïskaïa gazeta. Il y défend vigoureusement la Russie contre ce qu'il perçoit comme des hostilités et une désinformation occidentales, soulignant l'indépendance et la résilience du pays.

Il commence en prenant le contre-pied des accusations de l'Occident selon lesquelles la Russie est seule sur la scène internationale : « La Russie n'est pas isolée », écrit-il en expliquant que, malgré les sanctions, la Russie continue de maintenir des liens politiques actifs avec la plupart des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Il précise également que le monde est en train de s'éloigner de la domination du dollar américain, avec une transition vers les monnaies nationales et numériques.

Le président Medvedev constate aussi que la dénonciation du déclin supposé de l'économie russe est un autre sujet de prédilection pour les critiques occidentaux. Naturellement, il conteste cette idée en soulignant que même Reuters a admis que, en avril 2023, l'activité dans le secteur manufacturier russe a affiché une croissance pour le douzième mois consécutif. Il précise aussi que, en dépit des sanctions, la production industrielle a augmenté de 1,2 % entre mars 2022 (le début des opérations militaires) et mars 2023 et qu’elle continue de croître, que l'inflation en Russie est significativement plus faible que dans de nombreux pays occidentaux, et que le chômage n’est que de 3,3 %.

Il faut dire que, dans ces parties, l’ancien chef d’État se contente de mettre en évidence des points qui apparaissent comme évidents pour une majorité des États de la planète et qui ne sont contestés – et de manière de plus en plus faible – que dans les milieux politiques au pouvoir dans les pays occidentaux et dans la presse « mainstream » qui relaie abondamment leur position.

Beaucoup plus intéressante est la vision de Dmitri Medvedev sur OTAN. Il rejette l'accusation selon laquelle la Russie voulait endiguer l'alliance militaire occidentale, mais qu’elle n’a obtenu que l’élargissement de cette dernière à la Finlande et à la Suède. Il explique ainsi le véritable but de Moscou : « Nous n'avons jamais essayé de contenir l'OTAN. Ce n'est pas dans nos forces et nos capacités, et ces deux pays scandinaves étaient déjà associés à l'alliance. Nous n'avons toujours demandé qu'une seule chose : tenir compte de nos préoccupations et ne pas inviter d'anciennes parties de notre pays à rejoindre l'OTAN. Surtout ceux avec lesquels nous avons des différends territoriaux. Par conséquent, notre objectif est simple : éliminer la menace de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Et nous y parviendrons. »

Pour l’ancien président, puisque les pays en guerre ne sont pas admis dans l’OTAN, alors, en l’absence d’un accord solide avec les Occidentaux, la conclusion sera « très simple et triste » : le conflit sera permanent. Il constate aussi que le choc avec l'Occident a pris une dimension mondiale. Il explique que les années 2022-2023 marquent un tournant historique, définies par une « puissante rupture civilisationnelle » : ce qui se passe actuellement en Ukraine et dans le Donbass n'est pas simplement un « conflit régional », mais un affrontement total entre, d’un côté, les pays occidentaux – réticents à accepter que le monde ait radicalement changé et qu'ils sont en train de perdre leur domination – et, de l'autre côté, non seulement la Russie, mais aussi l'Est et le Sud globaux, qui continuent de gagner en force, cherchant à surmonter les conséquences économiques et politiques de leur passé colonial.

Dmitri Medvedev insiste sur le fait que cet affrontement n'est pas le choix de la Russie, mais une réponse à la stratégie agressive de l'Occident. Cette position, qui traduit une détermination croissante de la Russie à défendre ses intérêts nationaux, pourrait marquer une nouvelle étape dans les relations internationales. L’ancien chef d’État signale que la Russie n'a pas l'intention de plier face aux pressions et qu'elle cherche à développer des alliances alternatives pour contrer l'hégémonie occidentale. Il voit l'avenir dans une optique de défense de la souveraineté nationale et de rejet de toute ingérence étrangère. Pour lui, la Russie est déterminée à tracer son propre chemin, quelles que soient les tensions qui pourraient en résulter sur la scène internationale. Il fait valoir que la Russie n'est pas seulement en mesure de résister aux sanctions de toute sorte, mais qu'elle est également capable de prospérer malgré elles.

L'article de Medvedev ne nous offre pas seulement un aperçu de la manière dont la Russie perçoit son rôle sur la scène mondiale, mais aussi une indication de la manière dont elle peut répondre aux défis à venir. Face à l’Occident, la réponse de Moscou sera une défense résolue de ses intérêts nationaux et une recherche continue de partenaires alternatifs.

Ce texte confirme la détermination du Kremlin dans cette époque de grands changements. Dans le nouveau monde en construction, la Russie est d’autant plus sûre d’elle que les dynamiques de pouvoir traditionnelles sont remises en question dans un sens qui ne semble pas aller en faveur des Occidentaux.

 

[1] Évidemment, c’est une litote !

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique