OTAN : Vilnius, le « Sommet des Vainqueurs » ?
La solitude des sommets

OTAN : Vilnius, le « Sommet des Vainqueurs » ?

En 1934, le Parti communiste (bolchevique) de l’URSS tint son XVIIe congrès. Près de deux mille délégués y célébrèrent la réussite du premier plan quinquennal et ce grand rassemblement des dirigeants et des représentants du parti unique reçut, pour cette raison, le surnom de « Congrès des Vainqueurs ». En réalité, il se transforma bien vite en « Congrès des condamnés » : sur les 1 996 participants, 1 108 furent arrêtés et environ les deux tiers d'entre eux furent exécutés dans les trois années qui suivirent. Et sur les 139 membres qui furent élus au Comité Central, on ne compta que 41 survivants au moment du XVIIIe congrès, en 1939.

Comparaison n’est pas raison, mais le sommet de l’OTAN à Vilnius, les 11 et 12 juillet derniers, a pu mettre en avant de grandes victoires : d’abord, le renforcement de l’Alliance avec l’adhésion de deux nouveaux membres, l’un déjà acté, la Finlande, et l’autre en voie d’intégration, la Suède ; et ensuite, la cohésion nouvellement réaffirmée de l’organisation qui présente un front uni face à la menace soviétique… non, pardon ! euh… russe. En quelque sorte, le leitmotiv de la réunion était : « La Russie a voulu nous affaiblir, nous en sortons renforcés ! »

En revanche, il est une victoire qui n’a pas eu lieu, même si elle était attendue avec impatience depuis le précédent somment, à Madrid, fin juin 2022 : celle de l’Ukraine dans la guerre contre la Russie. Formée par l’OTAN, équipée par l’OTAN, renseignée par l’OTAN, conseillée par l’OTAN, l’armée ukrainienne ne pouvait pas perdre : elle était censée effectuer une percée décisive dans les lignes russes, atteindre la mer d’Azov, coupant le pont terrestre entre la Russie et la Crimée. Certains spécialistes de plateau envisageaient même – soyons fous ! – que les Ukrainiens reprendraient la Crimée et chasseraient les troupes ennemies jusqu’aux frontières de 1991 et même au-delà, provoquant l’effondrement du « régime de Poutine » déjà considérablement affaibli par l’« efficacité redoutable » des sanctions occidentales… Évidemment, une telle victoire de l’Ukraine aurait été celle de l’OTAN.

Las, comme l’écrivait Pouchkine dans l’un de ses poèmes : « Rêves, rêves,/Où est votre douceur[1] ? », la victoire programmée s’est transformée en une défaite annoncée. Mais, attention, la défaite de l’Ukraine seule et surtout pas celle de l’Alliance nord atlantique !

À Vilnius, le président Volodymyr Zelensky espérait sans doute une démonstration de solidarité, des preuves de la volonté de l'OTAN d’assurer la poursuite du soutien massif à la contre-offensive de l’armée ukrainienne et, potentiellement, une invitation à rejoindre l'Alliance sinon immédiatement, du moins dans un délai assez bref. Cependant, le sommet s'est révélé être pour lui un lieu de désillusions. Il est reparti les mains presque vides, avec des promesses de soutien sans substance et des perspectives d'adhésion à l'OTAN de plus en plus lointaines.

À l’origine, le consensus au sein de l’Alliance était que, tant que le conflit russo-ukrainien resterait dans une phase active, l'adhésion de l'Ukraine serait impossible pour la simple raison que, en application de l'article 5 de la charte, l'OTAN serait immédiatement impliquée dans la guerre avec le risque énorme d’une escalade nucléaire. L’idée était donc d’engranger les gains de la contre-offensive massive pour forcer Moscou à négocier en position défavorable. Après quoi, l’Ukraine remplirait les conditions de l’adhésion et bénéficierait enfin de la protection du fameux article 5 qui dissuaderait la Russie d’attaquer à nouveau.

Évidemment, dans les semaines qui ont précédé le sommet de Vilnius, l'Ukraine a tenté désespérément de remplir sa part du contrat en lançant les brigades otanisées à l’assaut des défenses russes, dans des actions « qui, en comparaison, ont fait passer la tristement célèbre Charge de la brigade légère pour la quintessence de la planification et de l'exécution militaires[2] », comme le pose dans son article Scott Ritter, un ancien inspecteur du désarmement et officier du renseignement du corps des Marines des États-Unis. Mais, en définitive, après la destruction d’une grande partie de l’armement fourni par l’OTAN et la perte d'au moins 20 000 tués dans les rangs ukrainiens, le président Zelensky n’a pu offrir à ses sponsors que la perspective… d’une victoire russe décisive.

Or, l’Occident « collectif », comme disent les Russes, a de moins en moins d’armes et de munitions à fournir. Et cela en dépit des plans de relance des industries d’armement états-uniennes et européennes pour augmenter la production, notamment d’obus d’artillerie. Le 7 juillet dernier, lors d’une interview donnée à CNN, le président Joe « cluster bomb » Biden reconnaissait, dans un triste aveu d’impuissance, que les États-Unis envoyaient à l’Ukraine des bombes à sous-munitions pendant une « période de transition » jusqu’à ce que l’industrie américaine soit capable de produire plus d’obus de 155 mm pour réapprovisionner l’armée de Kiev. En d’autres termes, de telles munitions sont fournies, non parce que l’armée kiévienne en a besoin, mais parce qu’il n’y a rien d’autre à donner ! Cela signifie aussi que les pays de l’OTAN sont actuellement incapables de fournir à leur mandataire ukrainien suffisamment d’armements pour poursuivre la fameuse contre-offensive et, encore moins, en initier une nouvelle. Du moins pour l’instant.

Confrontée à ces tristes réalités, l'OTAN a renoncé à fournir à l'Ukraine une feuille de route concrète pour l'adhésion, se bornant à déclarer qu'elle l’inviterait lorsque « les conditions seraient remplies » (sans préciser lesquelles), tout en promettant de poursuivre son soutien « aussi longtemps qu’il le faudra » (jusqu’à la défaite ?). Jadis, on ne voulait pas désespérer Billancourt. Aujourd’hui pour ne pas désespérer la rue Bankova, les alliés ont donné à Kiev un lot de consolation : la création d'un Conseil OTAN-Ukraine destiné à « faire progresser le dialogue politique, l'engagement, la coopération et les aspirations euroatlantiques de l'Ukraine à l'adhésion à l'OTAN ».

Pour le président Zelensky, le sommet de Vilnius n’a pas été la consécration qu’il avait anticipée jusqu’au mois de juin dernier. L’impossibilité pour son armée, vague d’assaut après vague d’assaut, de percer réellement la ligne défensive russe en dépit de quelques succès tactiques locaux a eu raison de ses rêves. Au lieu de vainqueur, il s’est retrouvé marginalisé et même isolé au sein de ce groupe de pays – à commencer par le premier d’entre eux, les États-Unis – qui l’ont poussé à la guerre en espérant que le nationalisme ukrainien, avec son militarisme exacerbé et sa haine des Moskals, serait le levier qui permettrait de faire tomber le « régime de Poutine » et s’effondrer la Russie.

Mais la pilule est également amère pour les membres de l’OTAN. Cette réunion devait être celle des vainqueurs. Elle risque de se transformer, à l’instar du congrès communiste de 1934, en « sommet des vaincus ». Tout va dépendre de la capacité de l’Alliance et de son « proxy » ukrainien à retarder une franche victoire de la Russie ou à tenter de retourner le sort des armes soit par la diplomatie (mais la nullité occidentale en ce domaine ne plaide pas en faveur de cette possibilité[3]), soit par l’intervention militaire directe (également improbable parce qu’une unanimité des États membres en la matière est impossible à atteindre et que le risque d’escalade nucléaire est trop important). De plus, dans plusieurs pays membres, la situation économique, déjà fragilisée par le Covid, subit l’effet boomerang des sanctions et ils n'ont qu'une hâte : que tout cela s'arrête..

Dans ce contexte global, les élections qui doivent avoir lieu dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis l’année prochaine, risquent de ne pas être favorables aux majorités actuelles. En Espagne, les élections générales du 23 juillet prochain peuvent se traduire par un changement de majorité et la perte du pouvoir par la coalition dirigée par le président du gouverrnement, le socialiste Pedro « TOA M-113 » Sánchez. Aux Pays-Bas, où les élections auront lieu à la mi-novembre, le Premier ministre Mark « MIM 104 Patriot » Rutte est déjà démissionnaire et ne se représentera pas. En Allemagne, même si les élections auront lieu normalement en 2025, la coalition du chancelier social-démocrate Olaf « Leopard » Scholz ne semble pas très solide. Au Royaume-Uni, les élections législatives doivent se tenir à la fin de 2024, mais le Premier ministre Rishi « Challenger » Sunak, bien que conservateur, semble d’ores et déjà bien fragile. En France, il est difficile d’envisager un changement de président (même si des législatives anticipées peuvent intervenir de manière inopinée selon les intérêts de l’Élysée), mais il est fort possible d’assister à l’adoption par le président Emmanuel « AMX-10 » Macron d’une nouvelle ligne politique à l’égard de l’Ukraine et de la Russie en vertu du principe du « en même temps ». Quant à Joe « Bradley » Biden, personne ne peut prévoir dans quel état il se trouvera le premier mardi de novembre 2024 pour la présidentielle américaine, surtout si les États-Unis se voient contraints de retirer piteusement leur soutien à l’Ukraine, moins de trois ans après leur fuite peu glorieuse d’Afghanistan. En d’autres termes, il est difficile d'anticiper quels seront les participants du prochain sommet de l’OTAN, l’année prochaine à Washington, et encore moins au sommet suivant en 2025.

À ce stade, je laisse le dernier mot à Scott Ritter, dans l’article déjà cité. Pour lui, le sommet de Vilnius s’est réduit à un « rien-burger » sans viande, « c'est juste un script », écrit-il. « Et Zelensky n'est qu'un acteur, jouant son rôle dans l'opéra tragique qu'est devenu le conflit russo-ukrainien, regardant impuissant sa nation et son peuple sacrifiés au nom de l’alliance dysfonctionnelle de l'OTAN qui proclame que sa mission est la paix, mais dont le seul produit est la guerre ».

 

[1] "Мечты, мечты,/Где ваша сладость?", Пробуждение (L’éveil).

[2] Scott Ritter: NATO Summit Serves Up Cringe Nothing-Burger, Sputnik International, 13 juillet 2023.

[3] Pour les Occidentaux, la diplomatie semble être devenue une manière de s’autocongratuler entre amis et non plus de négocier avec l’adversaire ou l’ennemi.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique