Ukraine : Macron, la fuite en avant ?
Dans la tête de Macron "Balboa": la revanche

Ukraine : Macron, la fuite en avant ?

Concernant la Russie et le conflit en Ukraine, Emmanuel Macron – avec, à sa suite, une énorme partie de la classe politique et la presque totalité de la classe médiatique – s’est engagé dans un narratif qui a très peu à voir avec les réalités et beaucoup avec les techniques anciennes des barbiers : mentir comme un arracheur de dents pour distraire le patient à l’approche d’une douleur térébrante, faire avaler une pilule amère ou tenter de justifier l’injustifiable.

Lors de son interview télévisée du 14 mars, le président de la république a truffé son propos d’approximations, de contre-vérités et de mensonges éhontés avec un aplomb que n’aurait pas désavoué le général américain Colin Powell, alors secrétaire d’État, brandissant en 2003, devant le Conseil de Sécurité des Nations unies, une fiole censée contenir de l’anthrax pour affirmer que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive.

Le président, lui, s’est réfugié derrière les accords de Minsk – dont il a montré à plusieurs reprises qu’il ignorait clairement le contenu – pour affirmer que le président Vladimir Poutine ne les avait pas respectés en dépit de tous les efforts déployés par les Occidentaux en général et par lui-même en particulier pour les faire appliquer.

Dans son roman 1984, George Orwell imaginait une armée d’« archivistes » rectifiant les écrits du passé pour les faire coller avec les impératifs politiques du moment, selon le principe : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir ; qui contrôle le présent contrôle le passé. »

Heureusement, Emmanuel « Little Brother » Macron ne dispose pas des mêmes moyens et, même s’il en avait peut-être très envie, il n’a pas pu effacer tous les exemplaires du journal Die Zeit du 7 décembre 2022, dans lequel Mme Angela Merkel, ancienne chancelière allemande, reconnaissait que le protocole de Minsk 2, qu’elle avait signé en février 2015 avec la France, la Russie et l’Ukraine, n’était pas destiné à être appliqué, mais à permettre à Kiev de gagner du temps pour reconstituer son armée avec l’aide occidentale. Et ces propos ont été confirmés par le chef de l’État français François Hollande, l’autre signataire occidental du document, et corroborés par le président ukrainien Petro Porochenko.

Mais il devient de plus en plus évident que le travail des « archivistes » orwelliens n’est plus réellement nécessaire en France tellement les médias reprennent sans barguigner le narratif officiel soit par obséquiosité envers le pouvoir, soit parce que les journalistes manquent du recul et des connaissances nécessaires – sans parler de la culture historique – pour exercer un minimum d’esprit critique.

Ainsi, lors d’une émission d’une chaîne d’information consacrée à la fameuse interview présidentielle, un reportage sur les relations entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine concluait que ce dernier, plutôt amical au début, avait développé – sans raison apparente – une nette inimitié à l’égard de son interlocuteur qui s’était concrétisée par l’immense table de leur rencontre au Kremlin, en février 2022. Il n’est pas venu à l’esprit des participants que Vladimir Poutine, voyant monter les périls en Ukraine, en avait eu peut-être assez de se laisser balader par son interlocuteur français à propos de ces accords qu’on lui promettait toujours d’appliquer, mais selon les modalités des barbiers déjà cités : « Demain on rase gratis ».

Si le locataire de l’Élysée dit que la France a tout fait pour éviter la guerre, faut-il le croire sur parole ? En décembre 2019 à Paris, lors de la dernière rencontre au « Format Normandie » pour tenter de résoudre la question du Donbass, il n’a pas tourné le dos à la position de son prédécesseur, François Hollande, ni insisté sur l’application effective de l’accord conclu en dénonçant la position d’Angela Merkel et de son nouveau complice, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, que l’on croyait encore un pacifiste convaincu. Il prétend avoir tout fait pour trouver un terrain d’entente… certes, mais à condition que la Russie cède sur tous les points, renonce à toute prétention de sécurité et abandonne les habitants du Donbass à leur sort[1].

Il est fort possible que le président Macron n’ait pas apprécié de se voir remettre à sa place par Vladimir Poutine. Il pensait peut-être parvenir à amadouer le dirigeant russe en lui offrant une porte de sortie dans la crise qui l’opposait aux États-Unis et à la plupart des membres de l’OTAN. Il était tellement persuadé que la Russie ne faisait pas le poids face à l’Occident collectif qu’il imaginait sans doute pouvoir lui extorquer des concessions pour lui éviter une déculottée humiliante et s’imposer ainsi aux yeux du monde comme un génie diplomatique et un maïeuticien de la paix.

Las ! Il croyait que, au poker menteur des rapports de force internationaux, les États-Unis et l’OTAN avaient dans leurs mains un carré d’as et que la Russie, n’ayant au mieux qu’une paire de deux, serait obligée de se coucher. Le contraire s’est produit et le carré d’as imaginaire s’est trouvé ridiculisé par une quinte flush royale. Les vœux pieux du gouvernement français (« Nous allons mettre l’économie russe à genoux ») se sont heurtés au mur de la réalité et les velléités otaniennes de faire gagner la guerre à l’Ukraine à coups de wunderwaffen se sont épuisées sur la ligne Sourovikine. Aujourd'hui, il n’y a plus, en France, que des experts déconnectés et des militaires retraités en mal de notoriété pour imaginer que l’Ukraine finira par gagner. Même les États-Unis, malgré les rodomontades de Joe « Where am I ? » Biden, se désengagent à petits pas.

Ainsi, le sénateur va-t-en-guerre Lindsey Graham, faucon parmi les faucons, en visite à Kiev, le 18 mars, expliquait aux responsables ukrainiens qu’ils ne devaient pas s’attendre rapidement à de nouvelles livraisons d’armes américaines mais que le peuple d’Ukraine avait la capacité de résister en mobilisant massivement et sacrifiant ses jeunes… à partir de 18 ans ! En d’autres termes, les « neocons » américains sont toujours prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien, mais sans avoir d’équipement à envoyer rapidement, dans une resucée malsaine de Mort à crédit. Finalement, si l’on interprète la pensée de Graham, les Ukrainiens n’ont qu’à faire comme des moujiks avinés et monter au combat par vagues avec des pelles de sapeur !

De son côté, le président Macron – rendons-lui cette justice – devine bien que l’Ukraine a perdu le peu de chances de résister qui lui restaient. Mais, au lieu d’inciter aux pourparlers, comme au début du conflit (mais peut-être n’aime-t-il négocier qu’en position de force ?), il insiste sur le fait que la Russie ne doit pas gagner et échafaude un plan mirifique pour « geler » le conflit (en attendant des jours meilleurs) par l’envoi en Ukraine de troupes otaniennes, européennes, non ! françaises, Monsieur ! Mais, attention, rendues imperméables par notre parapluie nucléaire hexagonal !

Le pire est que ce volontarisme de pacotille que la plupart de nos partenaires estiment aussi dangereux que ridicule, voire pathétique, trouve des caisses de résonance sur toutes les prétendues chaînes d’information. Des généraux, colonels et experts de tout poil nous expliquent, avec des vibratos dans la voix que n’aurait pas reniés le ministre André Maginot, que le déploiement de nos forces sur le Dniepr bloquerait l’armée russe. Personne n’ajoute, de peur du ridicule, que cette dernière, prise de panique, s’enfuirait jusqu’à la Sibérie, mais certains commentateurs estiment que la reprise de la Crimée serait envisageable.

En tout cas, nous explique-t-on, il faut arrêter Poutine avant qu‘il ne soit trop tard et qu’il ne s’élance à la conquête de l’Europe. Mais on oublie que si la France et l’Allemagne avaient respecté leur signature à Minsk cette catastrophe ne se serait pas produite. Et si, au tout début de la guerre, en mars et avril 2022, les Américains et les Britanniques, par l’intermédiaire du Premier ministre Boris Johnson, n’avaient pas empêché la signature de l’accord de paix proposé par Volodymyr Zelensky lui-même, les troupes russes auraient regagné leurs casernes et des centaines de milliers de vies auraient été épargnées.

Il y a un an, toutes les chaînes nous présentaient une armée russe en piteux état, incapable de résister à la « contre-offensive » ukrainienne qui allait reconquérir – « vous allez voir ce que vous allez voir ! » – tous les territoires perdus. Aujourd’hui, on prétend que cette même armée qui, nous explique-t-on, est incapable d’exploiter la prise d’Avdeïevka et subit des revers cuisants à Belgorod, pourrait déferler – qu’écris-je ? déferlera à coup sûr – sur la pauvre Europe qui ne demandait rien à personne, à part de plier le réel à sa volonté.

Dans cette ambiance délétère, un général de plateaux peut même expliquer dans un magazine à grand tirage que « la seule façon de montrer à Poutine que nous ne céderons pas, c’est de faire appel au sang des fils et des filles de France » en rétablissant le service militaire obligatoire. Et ces propos ne soulèvent pas des interrogations évidentes : comment ? avec quels moyens financiers ? dans quels délais ? et pour quel résultat opérationnel ? Mais poser ces questions, c’est être défaitiste, poutinolâtre et même agent de l’ennemi, bien que la guerre n’ait pas été déclarée.

Mais elle risque de l’être si la fuite en avant macronienne se poursuit. On pouvait penser que les positions négatives de la plupart de nos partenaires au sein de l’OTAN auraient dissuadé Macron « Balboa » de chercher sa revanche sur Poutine « Drago ». Visiblement, il n’en est rien. On peut penser que le président français, qui n’aime pas être contredit, ne veut pas perdre la face et qu’il ne quittera pas sa position martiale tant que l’attention médiatique sera braquée sur lui. Il croit sans doute que, pour faire gagner la liste Renaissance aux européennes de juin prochain, il lui suffira de montrer des biceps dignes de Stallone sur des photos irréelles.

Sans doute les faits et la situation sur le terrain finiront-ils par le ramener à une position plus conforme à l’état réel des forces. Ou peut-être que les aléas de l’actualité focaliseront l’attention de la presse sur d’autres sujets encore plus angoissants qui lui permettront de faire oublier ses incartades de chef de guerre. Mais en attendant, dans une situation délétère, personne ne peut écarter un dérapage fatal.

 

 

[1] À l’heure où l’on considère, en France, l’autonomie de la Corse et de l’Alsace, celle du Donbass à l’intérieur de l’État ukrainien, comme stipulé par le protocole de Minsk 2, n’était évidemment pas envisageable !

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique