Ukraine : "Opération Midas", le scandale qui éclabousse Zelensky
Volodymyr Zelensky et Timour Minditch, copropriétaires de Kvartal 95

Ukraine : "Opération Midas", le scandale qui éclabousse Zelensky

Cela tombe vraiment mal ! Juste au moment où les Européens, fauchés, veulent continuer à soutenir l’Ukraine en dérobant les actifs souverains russes gelés par l’UE, un scandale retentissant de détournement de fonds éclate à Kiev. L’affaire, baptisée « Opération Midas » par les enquêteurs, implique le producteur Timour Minditch, l’un des proches amis et partenaires d’affaires de Volodymyr Zelensky, ce parangon de toutes les vertus occidentales. Et il ne s’agit pas de petite monnaie, mais de la bagatelle de 100 millions USD selon le Bureau national anticorruption d'Ukraine (NABU) et du Parquet spécialisé anticorruption (SAPO).

En réalité, il ne s’agit là que de la partie émergée d’un iceberg aux dimensions titanesques. Le Bureau de l’Inspecteur général du Département de la Défense (aujourd’hui de la Guerre) des États-Unis, le DoDIG, a lancé pas moins de 61 enquêtes sur des affaires de vol, détournement et corruption qui sont toujours en cours. Si elles n’avancent pas – et si nul organe de presse ne s’en empare – c’est peut-être parce que personne, à l’Ouest, n’a vraiment intérêt à jeter l’opprobre sur le président-de-facto ukrainien et son entourage, alors que l’important est de continuer la guerre. Le DoDIG a également lancé deux audits sur l’utilisation de l’aide étatsunienne à l’Ukraine, l’un en octobre 2024 portant sur 18,8 milliards USD, l’autre en août 2025 portant sur 2 974 contrats représentant 29,6 milliards USD, soit un total de 48,4 milliards USD dont une partie aurait pu être allègrement détournée faute de contrôle précis.

Contrairement à toutes ces enquêtes, sans doute embourbées dans une raspoutitsa idéologique permanente, l’affaire « Opération Midas[1] » a sans doute fait parler d’elle parce que ce sont des organismes officiels ukrainiens qui l’ont révélée et qu’il est dès lors difficile pour la presse occidentale de la passer sous silence. Peut-être aussi parce que, maintenant, il serait de l’intérêt de la Maison Blanche d’exposer Volodymyr Zelensky et son entourage. Mais n’anticipons pas.

Naturellement, plutôt que de dramatiser le scandale, la tendance générale de la presse a été de se concentrer sur la robustesse des mécanismes anticorruption ukrainiens, présentant l'opération comme une preuve d'efficacité institutionnelle. La plupart des articles atténuent l'impact sur le président-de-facto Zelensky en soulignant son soutien explicite à l'enquête et décrivent l’affaire comme un pas en avant dans la réforme du pays en vue de son alignement sur les exigences pour l'adhésion à l'Union européenne. C’est notamment le cas de cet article du journal Le Monde.

Comme de bien entendu, la presse, prisonnière de son narratif destiné à « sauver le soldat Zelensky », omet généralement plusieurs éléments qui éclairent l’affaire d’un jour qui n’a vraiment rien à voir avec la lutte contre la corruption et la défense de la « démocratie », mais beaucoup, en revanche, avec les règlements de compte de clans politico-mafieux, à Kiev, mais sans doute aussi à Chicago, non, pardon ! je me trompe d’un siècle… à Washington.

Le premier point, parfois évoqué dans les articles, mais fortement édulcoré, est la nature des liens entre Volodymyr Zelensky et Timour Minditch, aujourd’hui en fuite. Ils sont partenaires en affaires depuis le début des années 2010. À l’époque, la société de production Studio Kvartal 95, détenue par le futur président et quelques-uns de ses amis et partenaires, connaissait des succès notables au point d’attirer l’attention d’investisseurs capables de la propulser au niveau supérieur. Timour Minditch avait eu l’occasion de travailler avec Kvartal 95 et Zelensky – certaines sources disent qu’ils étaient amis – et il présenta ce dernier à l’homme susceptible de donner à l’entreprise le coup de pouce décisif : l’oligarque Ihor Kolomoïsky, troisième fortune du pays et propriétaire de la chaîne de télévision 1+1. Cette connexion permit la signature de contrats lucratifs et marqua un tournant financier pour le studio. Ce fut à l'époque que Minditch entra dans le capital de la société et devint un associé majeur[2].

Kolomoïsky permit à Zelensky et à ses partenaires d’utiliser ses réseaux pour ouvrir des comptes dans des paradis fiscaux : les Îles Vierges britanniques, le Belize et Chypre. En octobre 2021, l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) a publié les Pandora Papers, une masse énorme de dossiers (11,9 millions de documents) qui ont mis en lumière les avoirs cachés de 35 chefs d’État, dont Volodymyr Zelensky. Son réseau offshore, lié à sa société de production, fut créé en 2012, l’année où cette dernière  commença à produire régulièrement du contenu pour la chaîne 1+1 de l’oligarque.

Selon un rapport de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, partenaire de l’ICIJ, daté du 3 octobre 2021, au moins 41 millions de dollars auraient transité depuis la banque PrivatBank, alors contrôlée par Kolomoïsky, vers des comptes liés à Zelensky et ses associés. Une partie de ces fonds aurait notamment servi à acheter des propriétés de luxe à Londres via des compagnies offshore comme Maltex Multicapital Corp.

En 2019, au moment de son élection, Zelensky céda à des proches, dont Minditch, les parts qu’il détenait dans ces entreprises, mais les Pandora Papers indiquent que des dividendes continuaient à être versés à sa femme, Olena Zelenska, grâce à des sociétés-écrans. Ces informations sont connues, vérifiées et facilement consultables. Elles jettent une lumière particulière sur les relations d’affaires entre l’actuel président-de-facto et Timour Minditch qui semble tenir un rôle de prête-nom ou d’homme de paille. C’est en tout cas l’avis de son ancien financier, Ihor Kolomoïsky, qui estime que Minditch « n'est pas capable d'organiser indépendamment des processus de gestion pour la mise en œuvre de schémas de corruption sophistiqués, tels que ceux mis au jour par le NABU. (…) Les schémas de Minditch sont les schémas de Zelensky. »

Il faut cependant prendre cette affirmation avec prudence : lâché par son ancien protégé, Kolomoïsky est en détention provisoire en Ukraine depuis septembre 2023. Il est incarcéré à Kiev, en attente de son procès pour plusieurs chefs d'accusation : fraude, blanchiment d'argent, escroquerie bancaire et organisation de meurtres commandités. Il est donc fort possible qu’en faisant cette déclaration l’ancien oligarque cherche simplement à se venger.

Manif NABUUn autre élément que la presse se garde bien d’approfondir est la controverse sur le NABU, le Bureau national anticorruption, qui a secoué l’Ukraine l’été dernier. Le 22 juillet, la Verkhovna Rada, le Parlemet ukrainien, a voté une loi, présentée par les députés de Serviteur du peuple, le parti de Zelensky, pour placer le NABU et le SAPO sous l’autorité du procureur général d’Ukraine, nommé par le pouvoir. Cela revenait à limiter ou même à supprimer leur indépendance car désormais, le parquet général pourrait réaffecter les dossiers traités par ces deux organismes à d'autres juridictions en vertu de « circonstances objectives » discrétionnaires ou s'il jugeait leurs enquêtes « inefficaces ». Cette affaire provoqua des manifestations massives – les premières protestations antigouvernementales généralisées depuis le début de guerre en 2022 – et une vive réaction internationale. Devant l’ampleur de la mobilisation, le pouvoir se vit contraint de faire machine arrière et de faire voter une nouvelle loi, le 31 juillet, pour rétablir l’indépendance des deux organismes anticorruption et garantir le fonctionnement indépendant des enquêtes.

Cette affaire peut être appréhendée sous un nouvel angle depuis que l’on sait que le NABU travaillait depuis 15 mois sur l’« Opération Midas ». Ne serait-ce pas pour empêcher les enquêteurs d’aller plus loin dans leurs investigations en les plaçant sous la tutelle d’un proche du pouvoir que la loi originale a été votée ? Évidemment, rien ne permet de l’affirmer, mais la coïncidence est troublante.

Encore plus troublante lorsque l’on sait que les États-Unis ont été un architecte clé, au moyen de leviers diplomatiques, financiers et techniques, de la création du NABU, en 2015, dans le sillage de l’Euromaïdan. Au départ, il s’agissait de favoriser, avec l’appui de l’Union européenne, une institution indépendante pour ancrer les réformes dans le pays le plus corrompu d’Europe selon tous les classements internationaux. Mais il est rapidement devenu, selon Viktor Chokine, l’ancien procureur général d’Ukraine, un instrument d’influence des États-Unis pour aiguiller les investigations dans les directions voulues par la Maison Blanche et particulièrement par Joe Biden, alors vice-président, dont le fils Hunter était impliqué dans l’affaire des Burisma Holdings (voir notre article). Rappelons que Biden est directement intervenu auprès du président Petro Porochenko pour obtenir le limogeage de Chokine moyennant un chantage d’un milliard USD. Les propos et accusations de l’ancien procureur ont été relayées en 2019, dans une interview donne à Interfax-Ukraine, par le député ukrainien Andrii Derkatch[3], du Parti des régions.

Selon Larry Johnson, ancien analyste de la CIA, le NABU serait aujourd’hui utilisé par l’administration de Donald Trump pour déstabiliser Volodymyr Zelensky qui lutte par tous les moyens – avec l’aide des Européens – pour continuer la guerre, contrairement aux souhaits du locataire de la Maison Blanche. Dans une interview, Johnson suggère que c’est justement pour cette raison que les États-Unis ont contribué à forcer Zelensky à maintenir le NABU en revenant sur la tentative maladroite de le priver de ses pouvoirs. Cela signifierait que les jours au pouvoir du président-de-facto sont désormais comptés.

L’analyste géopolitique étatsunien Andrew Korybko, basé à Moscou, estime lui aussi que l’affaire alimente les rumeurs sur une éventuelle volonté de la Maison Blanche d’obtenir le départ de Zelensky au moyen d’une procédure parlementaire, d’un coup militaire ou d’une révolution colorée. Toutefois, pour lui, un changement de régime est hautement improbable sans le soutien du SBU (le Service de sécurité), qui dispose de pouvoirs illimités sous Zelensky et a réprimé toute dissidence politique au cours des dernières années.

Il est clair que Zelensky bénéficie aussi d’autres appuis, plus ou moins évidents, pour l’aider à surmonter le scandale : d’abord les gouvernements européens qui ne veulent pas que la Russie gagne la guerre ; ensuite les puissantes formations bandéristes et néonazies qui le soutiennent comme la corde soutient le pendu ; et pour finir une collusion de services de sécurité occidentaux qui comprennent non seulement le MI6 britannique, mais aussi des agences à trois lettres étatsuniennes qui ne suivent pas forcément les ordres de la Maison Blanche, mais défendent plutôt, l’histoire l’a abondamment montré, la collusion d’intérêts intemporels et quasi mafieux du Deep State néoconservateur.

 

Si l’article vous a plu, vous pouvez aussi m’offrir un café…

 

 

[1] Le lecteur intéressé pourra trouver un résumé clair et honnête sur le site de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) : "Ukraine Cracks Down on ‘Shadow Managers’ in $100 Million Energy Fraud Case".

[2] La plupart de ces détails sont contenus dans le livre de Konstantin Bondarenko, The Joker: the True Story of Volodymyr Zelensky's Rise to Political Power (janvier 2025), dont nous avons déjà rendu compte.

[3] Il a acquis la citoyenneté russienne en 2023 et est aujourd’hui membre du Conseil de la Fédération de la Fédération de Russie.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique