Von der Leyen : Tellement de bruit pour rien…
Poutine a cassé mon GPS !

Von der Leyen : Tellement de bruit pour rien…

C’est un événement terrible qu’il convient de mettre en lumière aujourd’hui : le brouillage présumé du GPS de l’avion qui transportait Madame Ursula von der Leyen au-dessus de la Bulgarie. Cet incident, non, pardon ! ce crime – qui a mis en émoi la planète entière – a été attribué, évidemment, à la Russie. Vous vous rendez compte, ces moujiks mal dégrossis n’hésitent pas à viser la présidente de la Commission européenne en personne !

Que l’on nous pardonne d’abuser du sarcasme, mais, à en croire la couverture médiatique, surtout en France (BFMTV, LCI), il s’agirait d’une provocation gravissime. Sans doute dans la droite ligne de la dépêche d’Ems par laquelle le chancelier prussien Bismarck contribua à déclencher la guerre contre la France en 1870. Ou de l’assassinat de l’archiduc autrichien François-Ferdinand à Sarajevo en 1914, prétexte à l’hécatombe de la Première Guerre mondiale.

Selon la Commission européenne relayée par la presse internationale (Financial Times, Le Monde, etc.), cet incident, qualifié d’« ingérence flagrante », illustre les tensions persistantes entre l'UE et la Russie, ainsi que l'utilisation croissante par Moscou de techniques de guerre hybride, comme le brouillage GPS, dans le contexte du conflit en Ukraine.

Mais avant de gloser sur les conséquences possibles – mais non probables – de l’acte, posons-nous la question des faits. D’abord, l’événement a eu lieu alors que la présidente de la Commission européenne effectuait une tournée pour exprimer la solidarité de l'UE avec les pays proches de la Russie et de la Biélorussie, et pour promouvoir un plan de 800 milliards EUR visant à renforcer les dépenses de défense de l'UE.

Selon les données brouillonnes communiquées par la Commission et répercutées, sans vérification, par la plupart des organes de presse, le 31 août, l’avion de Madame von der Leyen, un Falcon 900LX affrété par l'Union européenne, aurait été victime d’interférences dans son système GPS à l’approche de l’aéroport de Plovdiv en Bulgarie, ce qui aurait obligé les pilotes à effectuer des rotations avant de pouvoir se poser en utilisant… de bonnes vieilles cartes papier ! L’incident aurait occasionné un retard d'environ une heure à l’atterrissage. Les autorités bulgares ont confirmé que des brouillages GPS, provoqués sans doute par la Russie, étaient fréquents dans la zone de la mer Noire, mais sans évoquer un lien formel avec l’incident en question.

En réalité, tout sonne faux dans cette histoire. Si le GPS était brouillé, ou en panne, les autres instruments de navigation ne l’étaient pas et le recours à des cartes en papier apparaît comme un artifice de bande dessinée destiné à dramatiser un problème inexistant. Autre point important : il n’existe pas de dispositif de brouillage GPS permettant de cibler à longue distance un seul appareil. Le système russe le plus performant, le Krasukha-4, peut brouiller des satellites en orbite basse et, installé en Crimée, pourrait théoriquement (mais difficilement) atteindre la région de Plovdiv. Mais il aurait un effet non sélectif, affectant une large zone autour de la ville. Il devait y avoir d’autres avions dans le ciel à ce moment-là. Or, aucun autre incident n’a été signalé. Bizarre, non ?

Le site Flightradar24, qui répercute en temps réel toutes les liaisons aériennes mondiales, a porté le coup de grâce à cette histoire. Un post sur X daté du 1er septembre à 19h16 indique :

« Les médias rapportent que des interférences GPS ont affecté l'avion transportant Ursula von der Leyen à Plovdiv, en Bulgarie. Certains rapports affirment que l'avion a été en attente pendant 1 heure.

Voici ce que nous pouvons déduire de nos données.

  • Le vol devait durer 1 heure et 48 minutes. Il a duré 1 heure et 57 minutes.
  • Le transpondeur de l'avion a signalé une bonne qualité du signal GPS du décollage à l'atterrissage. »

Soyons charitables et n’imaginons surtout pas que l’incident ait été monté machiavéliquement de toutes pièces pour attirer l’attention internationale sur la tournée de Madame von der Leyen et son arrêt en Bulgarie où elle a visité une usine d’obus. Ou qu’il ait été destiné à brouiller ou parasiter la couverture médiatique du sommet de l’OCS à Tianjin en montrant une nouvelle preuve de la perfidie de Vladimir Poutine.

Die KaiserinLe plus probable est que l’appareil de Madame von der Leyen a réellement eu une panne momentanée de GPS due à un problème technique et que les services de communication de la Commission, faisant preuve d’une stupidité qui devient légendaire, se sont dit que l’occasion était trop belle de mettre cela sur le compte du Kremlin et de renforcer encore la logorrhée guerrière à son encontre.

Le jour même de l’incident, le Financial Times (encore lui) publiait un article au titre évocateur rapportant des propos de la présidente de la Commission : « L'Europe a un plan "assez précis" pour envoyer des troupes en Ukraine, selon von der Leyen ». Certes, notre héroïne du jour précisait que ce serait en vue de l’application d’un cessez-le-feu et avec le soutien des États-Unis, et que, pour approfondir ces discussions, elle participerait à une réunion prévue à Paris le 4 septembre, à l'invitation d'Emmanuel Macron, avec le chancelier Friedrich Merz, le Premier ministre Keir Starmer et le secrétaire général de l'OTAN Mark Rutte.

La réaction allemande ne s’est pas fait attendre : le ministre de la Défense, Boris Pistorius, a qualifié ces propos de von der Leyen de « prématurés » et « fondamentalement erronés ». S’exprimant lors d'une visite à une usine d'armement près de Cologne, le 1er septembre, il a déclaré : « Ce sont des choses que l’on ne discute pas avant de s’asseoir à la table des négociations avec de nombreuses parties concernées » et « l’Union européenne n’a aucune compétence ou mandat en matière de positionnement de troupes ».

Les incohérences et les approximations des dirigeants de la Commission, que ce soit la présidente von der Leyen ou la vice-présidente Kaja Kallas ne nous surprennent plus. Elles semblent avoir repris à leur compte le cri de guerre des révolutionnaires hispano-américains : « ¡Hasta la victoria siempre! ». En d’autres termes, pas de négociations ni de dialogue avec Poutine jusqu’à la défaite de la Russie. Car, with a little help from [his] friends, l’Ukraine va gagner, c’est sûr ! Et de rêver au 19e paquet de sanctions qui, cette fois, va réussir là où les 18 autres ont échoué puisqu’il va viser les pays qui achètent des hydrocarbures à la Russie. Comme l’Europe elle-même ?

Mais les autres dirigeants européens ne sont pas en reste. Inutile de revenir sur les propos récents du président Emmanuel Macron qualifiant le président russe d’« ogre » qui dévore tout sur son passage, ce qui est indiscutablement le meilleur moyen de créer les conditions d’un dialogue diplomatique constructif. La dernière personnalité en date à s’illustrer dans la surenchère vindicative est la ministre finlandaise des Affaires étrangères, Elina Valtonen, qui a comparé la Russie à un « cancer » lors d'une réunion ministérielle à Copenhague, le 30 août dernier. « Le monde devrait se concentrer sur un véritable remède contre le cancer », a-t-elle dit, « et pas seulement sur la lutte contre la douleur. Étant donné que la Russie, malheureusement, représentera une menace stratégique à long terme, non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour nous tous. »

On sait que, depuis la neutralité de la Finlande, en 1947 et 1948, l’URSS puis la Russie ont tellement menacé ce pauvre pays qu’il n'a été obligé de renforcer la protection de ses 1 340 km de frontières communes qu'après son adhésion à l’OTAN en 2023, alors qu’il n’avait pas eu besoin de le faire précédemment.

Comme le ridicule ne tue plus et que l’esprit critique n’est pratiquement plus enseigné, de plus en plus de personnalités en profitent pour proférer des énormités sans crainte d’être contredites par les médias qui deviennent de plus en plus des versions édulcorées de la Pravda de la grande époque.

À ce stade, une grave question se pose : qu’ont fait les Européens pour avoir à leur tête de telles équipes de Pieds Nickelés incompétents à l’intérieur comme à l’international ? Mais, comme l’écrivait Joseph de Maistre, « les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent ».

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique