Le président de la république est un alchimiste efficace mais maudit : pour son malheur – et le nôtre – il n’a pas trouvé la pierre philosophale mais son opposé, un élément mystérieux qui permet de transformer l’or en plomb, le soleil le plus radieux en brouillard poisseux et les déclarations martiales en viles pantalonnades. Cet élément lui permet aussi – et c’est peut-être sa seule utilité – de faire oublier opportunément certaines déclarations péremptoires qui, finalement, n’étaient pas destinées à être suivies d’effet. Par exemple, celle sur la « cession » à l’Ukraine de chasseurs Mirage français qu’une dissolution opportune de l’Assemblée nationale vient remettre en question. Mais replongeons-nous dans le contexte.
Depuis des mois, les États-Unis ont donné leur feu vert pour que des pays européens fournissent à Kiev des avions de combat F-16 Fighting Falcons. Entre 80 et 90 ont été promis, mais comme « Anne, ma sœur Anne » du célèbre conte de Charles Perrault, les observateurs ne voient toujours rien venir dans le ciel ukrainien. Oh ! Ils finiront bien par arriver, ces fameux chasseurs tant promis, tant espérés, tant attendus… Peut-être cet été ? Peut-être cet automne ?
Mais à ces mirages évanescents dans le soleil qui poudroie, voilà que le président Macron, dans l’exaltation des commémorations du Débarquement, en a ajouté d’autres, des vrais ceux-là : des Mirage 2000 tiret 5, un peu âges mais efficaces, en dotation dans l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) jusqu’en 2028.
Le chef de ce qui reste de l’État l’a précisé lors de son interview télévisée sur les principales chaînes, le 6 juin au soir : « Nous allons annoncer […] la cession de Mirage 2000-5, qui […] permettront à l’Ukraine de protéger son sol, son espace aérien. […] Ce qui est le facteur dimensionnant, c’est le temps de formation des pilotes. Et donc on va proposer au président Zelensky que les pilotes puissent être formés dès cet été. Il faut normalement 5 à 6 mois. Et donc que d’ici la fin de l’année, il puisse y avoir pilotes et avions ».
Sans doute ne fallait-il voir, derrière ces phrases jargonnantes, rien d’autre que l’une de ces promesses hypnotiques dont Emmanuel « Kaa » Macron a volé le secret au célèbre serpent du Livre de la Jungle version Disney. Car, en réalité, cette offre était surprenante pour trois raisons : le nombre d’appareils disponibles, la durée de formation invoquée et la question du MCO, le « maintien en condition opérationnelle » des appareils.
Pour les spécialistes des questions aéronautiques, même si l’on ne « cédait » que six à douze appareils, cela représenterait pour la France un effort énorme alors que sa flotte aérienne de combat est déjà « à l’os ». On se demande donc avec inquiétude si le pays va devoir se priver d’une partie de son aviation de combat. Comme le signale un article de la revue en ligne Zone militaire, l’AAE ne dispose que d’un peu plus d’une vingtaine d’appareils de ce type réunis essentiellement au sein du groupe de chasse 1/2 Cigognes à la base aérienne de Luxeuil. Or, l’ensemble de ces Mirage 2000-5 représente entre 13 et 15 % de la totalité des appareils opérationnels français. Ainsi, un grand effet d’annonce pour une petite quantité !
Outre la France, deux autres pays se sont dotés d’avions de ce type : le Qatar et la Grèce. Aujourd’hui retirés du service, ces appareils sont en vente. Au Qatar, douze sont disponibles, mais il est peu probable que Doha accepte de les fournir à l’Ukraine car cela pourrait nuire à ses excellentes relations avec Moscou. Athènes, de son côté, en dispose d’une vingtaine qui pourraient être livrés, d’autant que, comme le signale Zone militaire, « contrairement à leurs homologues français, [ils] sont câblés pour emporter des missiles de croisière Scalp » que la France livre au régime de Kiev.
Restent les questions de la formation des pilotes et du maintien en condition opérationnelle. Elles sont liées. À ce propos, signalons ici un excellent débriefing vidéo sur la question. En substance, le délai de cinq à six mois de formation sur Mirage invoqué par le président Macron est crédible pour des pilotes confirmés. Pour de plus jeunes, il faut compter au minimum un an avec des cours accélérés. Or, déjà que l’Ukraine ne dispose pas de suffisamment d’aviateurs chevronnés pour prendre en main les futurs F-16, ajouter des Mirage, ce serait sans doute faire de l’opération un nouvel épisode de Mission impossible.
Pour compliquer la situation, il ne faut pas oublier de former aussi les techniciens de maintenance. Pour parvenir à entretenir et réparer efficacement de tels appareils, il faut des années de formation et d’expérience. Évidemment, la question des pilotes comme des techniciens peut être résolue par le recours à des « volontaires » étrangers comme dans le précédent historique de la fameuse escadrille des Flying Tigers (« Les Tigres volants ») de la Seconde Guerre mondiale. Ce groupe de pilotes et mécanos étatsuniens combattait pour la Chine dans la guerre contre le Japon. L’escadrille, formée en 1940, avant l’entrée en guerre des États-Unis, volait sur des chasseurs Curtiss P-40 Warhawk, peints de marquages distinctifs chinois, mais fournis par Washington dans le cadre du programme « Prêt-Bail ».
Il serait surprenant qu’un schéma similaire n’ait pas germé dans l’esprit des dirigeants occidentaux alors que des spécialistes français, britanniques et étatsuniens sont déjà sur place – sous uniforme ukrainien – pour permettre la maintenance, l’utilisation et le ciblage des missiles Scalp, Storm Shadow et ATACMS aimablement fournis par leurs pays respectifs. Évidemment, la question du personnel n’est qu’une partie des difficultés à surmonter : il faut également mettre en place une chaîne d’approvisionnement logistique et des infrastructures différentes pour chaque type d’appareil. L’article de Zone militaire cité plus haut nous apprend que c’est la raison pour laquelle la Suède a renoncé à son projet de remettre à l’Ukraine des avions de combat JAS-39 Gripen.
Les retards dans la livraison des F-16 sont vraisemblablement dus aux difficultés de l’établissement de chaînes logistiques ainsi qu’à la quasi-impossibilité de trouver sur le territoire ukrainien des aérodromes adaptés au décollage de ces appareils qui nécessitent de longues pistes en bon état et nettoyées de tout débris. Les Mirages 2000 français ne sont pas aussi « délicats », mais ils auront tout autant besoin d’infrastructures leur permettant d’opérer et de survivre dans un environnement militaire aussi difficile que celui de l’Ukraine.
En tenant compte de ce qui précède, on peut se demander si la fourniture des appareils promis par le président Macron n’était pas destinée à tomber dans les oubliettes de l’histoire. Il est clair qu’au moment où il faisait cette annonce solennelle destinée à le poser en chef de guerre, il savait déjà qu’il allait dissoudre l’Assemblée nationale. De telles décisions ne se prennent pas sur un coup de tête et les sondages commandés par l’Élysée ne lui laissaient pas le moindre doute sur l’issue du scrutin européen. Comme il n’y a aucune raison que le corps électoral change d’avis en trois semaines, il anticipe déjà le résultat des législatives qui se traduira par la formation d’un gouvernement de cohabitation. Et, dans cette nouvelle phase politique, toute promesse non tenue sera mise sur le compte de la mauvaise volonté du Premier ministre d’opposition que les urnes – ou la mauvaise alchimie – lui auront imposé. Voyez, il était plein de bonne volonté, mais…
De toute façon, même s’il avait réellement eu l’intention de fournir les fameux Mirage, sans doute seraient-ils arrivés longtemps après la bataille. « Caramba ! Encore raté ! » aurait dit Ramon, le tueur maladroit de L’oreille cassée.