Couvre-feu : on se fait appeler « Arthur »

Couvre-feu : on se fait appeler « Arthur »

Pourquoi Arthur ? D’où vient cette expression du langage courant qui évoque la promesse d’un châtiment pour une faute commise. Certes, les jeunes d’aujourd’hui ne l’utilisent plus guère, mais ceux qui ont on plus de, disons, quarante ans ne peuvent que garder le souvenir de l’un ou l’autre de leurs parents levant un doigt aussi sentencieux que menaçant en disant :

— Oh, toi ! Tu vas te faire appeler Arthur !

Même la tournure de la phrase était bizarre : « se faire appeler ». Cela suggérait que le simple fait d’être affublé de ce nom était un sujet d’infamie. Mais qui pouvait être cet Arthur mystérieux dont la simple évocation laissait entendre les pires supplices. Le roi fondateur de la Table ronde et sa fameuse épée Excalibur qui pourfendait les félons ? Le célèbre écrivain Conan Doyle dont le détective fétiche découvrait à coup sûr les mauvaises actions ? Ou une évocation de la fin pathétique de Rimbaud dans l’hospice de Marseille ?

En fait, rien de tout cela. L’expression vient de l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et du couvre-feu que la Wehrmacht imposait à partir de 8 heures du soir. Dans toutes les localités concernées, le moment fatidique arrivé, les patrouilles allemandes interpellaient les retardataires qui se trouvaient encore dehors en leur criant : « Acht Uhr ! Acht Uhr ! » (Huit heures !).

Voilà comment ils se faisaient appeler Arthur !

Il est probable que notre couvre-feu actuel, infiniment moins dramatique que celui de La Traversée de Paris, va laisser à la postérité des expressions qui nous semblent évidentes aujourd’hui mais qui deviendront progressivement hermétiques aux générations qui suivront.

Peut-on imaginer que l’expression « 135 euros » devienne un jour synonyme de « bas les masques » ?

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique