Contrairement à Dorothy du Magicien d’Oz qui retourne au Kansas en claquant des talons, Emmanuel Macron a beau taper du pied, adopter des postures martiales, lever le menton et fixer la ligne bleue du Dniepr, il ne parvient pas à obtenir ce qu’il veut : provoquer la défaite de la Russie.
La réunion de Paris sur la paix et la sécurité pour l’Ukraine, qui s’est tenue à l’Élysée le 27 mars 2025, a montré une nouvelle fois que non, désirer ardemment une chose ne suffit pas à la réaliser, même si l’on a cru mettre tous les atouts en sa faveur. En tout cas, le président français a pu se rendre compte que, malgré les déclarations officielles, réunir trente et un pays, le secrétaire général de l’OTAN et des représentants de l’Union européenne ne permettait pas de former une véritable « coalition » tellement les divisions sont profondes entre les participants à la conférence.
Rappelons qu’Emmanuel Macron avait repris l’idée d’une « coalition de volontaires » que le Premier ministre britannique Keir Starmer avait proposée quelques jours plus tôt : « Nous serons prêts à nous déployer en tant que "coalition de volontaires" en cas d’accord de paix, afin d’aider à sécuriser l’Ukraine sur terre, en mer et dans le ciel. »
Le 20 mars, à l’issue d’un Conseil européen à Bruxelles, le président français avait déclaré : « Nous tiendrons un sommet de la coalition des volontaires jeudi prochain à Paris, en présence du président Zelensky et nous finaliserons [les] garanties de sécurité que peuvent apporter les armées européennes. »
Et voilà que, en quelques jours, la vaillante « coalition des volontaires » s’est transformée en une « coalition d’action pour une paix solide et durable » sous la forme d’une auberge espagnole où chacun apporte ce qu’il peut (sauf que l’Espagne est plus que réticente à s’engager[1]). Quant au contingent militaire destiné à être déployé en Ukraine après un accord de paix, ce ne serait plus une « force de maintien de la paix » sur la ligne de front[2], mais une « force de réassurance » – concept nouveau – stationnée plus à l’intérieur du territoire ukrainien ou même à ses frontières. Elle serait composée « des forces de quelques États membres présents », comme le président Macron l’a précisé lors de sa conférence de presse à l’issue de la réunion du 27 mars. Quels États membres ? La France et le Royaume-Uni, c’est sûr. La Lituanie ? D’autres Pays baltes ? En tout cas, s’il y en avait beaucoup, des communiqués triomphaux auraient été publiés.
Le 28 mars 2025, à l’issue de la réunion de l’Élysée, le journal espagnol ABC a posé la question qui fâche : « Pourquoi l’Europe a-t-elle tenu six sommets en un mois sans mesures concrètes sur l’Ukraine ? » La réponse tient certainement à une agitation macronienne qui repose uniquement sur des illusions longtemps ressassées, celles d’une force imaginaire des pays européens et d’une faiblesse supposée de la Russie, qui, bien sûr, ne peut que s’effondrer[3]. D’ailleurs, comme le disait Volodymyr Zelensky sur France 2, le 26 mars, « [Poutine] va mourir bientôt, c’est un fait, et tout sera terminé. »
Le problème pour le président français – et pour le Premier ministre britannique – est que la plupart des pays européens sont depuis longtemps sortis de l’illusion de la victoire ukrainienne, mais qu’ils sont trop impliqués – et qu’ils ont trop investi – dans le soutien à Kiev pour se déjuger officiellement. Alors ils manifestent une solidarité de façade tout en freinant des quatre fers lorsqu’il s’agit de s’impliquer réellement dans une aide autre que symbolique. Et cela d’autant plus que l’on ignore quels seront les résultats des négociations de résolution du conflit entreprises sous l’égide du président Donald Trump.
En tout cas, au cours de la conférence de presse du 27 mars, Emmanuel Macron a encore une fois fait preuve de sa foi dans la pensée magique. Comme le disait Guillaume d’Orange-Nassau : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
D’emblée, le président pose l’enjeu sans se rendre compte qu’il est illusoire : « Notre objectif est clair, c'est de gagner la paix. Nous devons pour cela placer l'Ukraine dans la meilleure position possible pour négocier. » La question qui se pose tout de suite est : comment ? Que peuvent faire les Européens sans les États-Unis qu’ils n’auraient pas déjà pu faire avec les États-Unis ? Rappelons que les réserves d’armes et de munitions sont largement entamées, que les pays occidentaux ont fourni à Kiev entre 300 et 400 milliards de dollars et que, au bout de trois ans de livraisons d’argent magique, l’UE est incapable de trouver les 40 milliards d’euros réclamés par Kaja Kallas, l’improbable haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de Sécurité.
Précisons que la meilleure position de négociation, l’Ukraine l’avait en février 2015 puisqu’il aurait suffi d’appliquer les accords de Minsk (qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas compris) pour éviter une guerre et conserver l’intégralité du territoire de 1991 à l’exception de la Crimée (que le président Leonid Kravtchouk était prêt à rendre à la Russie à l’époque[4]). Une autre excellente position de négociation s’est présentée en mars-avril 2022, quelques semaines à peine après le début des combats : le traité négocié à Istanbul donnait à Kiev, en échange de la neutralité, la possibilité de retrouver ses frontières d’avant le 24 février (le sort des deux républiques du Donbass devant faire l’objet de négociations). Mais les va-t-en-guerre occidentaux par l’intermédiaire de Boris Johnson, alors Premier ministre de Sa Majesté, avaient fait capoter l’accord.
Le président Macron semble ignorer que, après trente-sept mois de guerre et alors que l’Ukraine se trouve dans une position critique, ce n’est pas en claquant les talons qu’on retrouve les occasions manquées à cause de la superbe occidentale et de l’illusion de sa toute-puissance.
Pour la fine bouche, remarquons cet extrait de la conférence de presse où le président de la république formule (mal) une pensée pour le moins tortueuse : « Maintenant, le président Trump, c'est normal, il se retourne vers les Russes et dit, vous êtes l'agresseur, l'agressé est d'accord pour cesser les hostilités sans condition, vous devez faire pareil. Donc, je pense que le président Trump, il attend une réponse claire de la Russie. Il a raison. Et nous, on est derrière lui. Et donc, je pense que s'il a cette réponse claire de : "la Russie ne vient pas", à juste titre, le président Trump se sentira floué, trahi. Et donc là, il devra réagir. Mais, je ne me mets pas à sa place. J'essaie juste de décrire comment les choses vont normalement se passer. »
Comme l’écrivait Pouchkine : « Rêves, rêves, Où est votre douceur ? Où es-tu, où es-tu, joie nocturne ? Il a disparu, ce sommeil joyeux… »
Dans le monde réel, l’agressé est toujours d’accord pour cesser les hostilités. Monsieur de La Palice n’aurait pas dit mieux. Mais la partie adverse serait folle d’accepter un cessez-le-feu sans conditions et sans aucune garantie que l’ennemi ne va pas en profiter pour se réarmer et améliorer ses positions avant de reprendre les combats. Il se trouve aussi que Donald Trump a déjà reçu une réponse claire de la part de la Russie, mais sur d’autres sujets que l’Ukraine : le rétablissement de relations diplomatiques normales, la coopération en Arctique, des accords commerciaux sur l’énergie (et peut-être une exploitation commune de Nord Stream), l’équilibre stratégique, etc.
Sans compter que ce n’est vraisemblablement pas à la Russie que le président des États-Unis reprocherait l’échec : si ses efforts pour négocier une fin rapide du conflit sont au point mort, c’est en grande partie parce que Volodymyr Zelensky et son équipe rejettent l'accord que les États-Unis ont conclu avec la Russie à Riyad, le 24 mars, et que les Européens refusent de lever les sanctions sur les exportations de céréales et d'engrais russes, ce qui permettrait le cessez-le-feu en mer Noire.
Dans ce contexte, l’Ukraine et la « guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu », comme Donald Trump l’a dit lui-même, semblent sur le point de devenir le cadet de ses soucis, ce qui signifierait un désengagement total des États-Unis.
Quelqu’un devrait peut-être dire à Dorothy Macron qu’il n’y a que dans les films que…
Somewhere over the rainbow
Skies are blue
And the dreams that you dare to dream
Really do come true.
[1] Le président du gouvernement Pedro Sánchez estime que les Espagnols « ne veulent pas contribuer à alimenter une course aux armements qui conduise à de nouveaux conflits » (no quieren contribuir a alimentar una carrera armamentística que conduzca a nuevos conflictos)
[2] De tels contingents de « casques bleus », sous l’égide de l’ONU, ne peuvent être déployés qu’avec l’assentiment des parties en guerre. Or, la Russie s’oppose à voir des membres de l’OTAN, qu’elle considère comme cobelligérants, participer à une telle force éventuelle.
[3] Bien que cela ne soit pas facilement démontrable, on peut également voir dans cette agitation la volonté d’Emmanuel Macron d’affirmer une autorité qui lui échappe sur la scène intérieure, l’espoir de donner le change sur ses capacités de dirigeant, l’aspiration à créer un rideau de fumée sur l’état catastrophique de l’économie de son pays et le souhait de se ménager un destin européen après 2027.
[4] Nous y reviendrons dans un prochain article.