Lobbies : L’attaque du Hamas va-t-elle remettre en question l’aide américaine à l’Ukraine ?
Benyamin Netanyahou et Joe Biden en Israël, le 14 juillet 2022

Lobbies : L’attaque du Hamas va-t-elle remettre en question l’aide américaine à l’Ukraine ?

Il est encore trop tôt pour tirer le moindre enseignement géopolitique des événements qui se déroulent actuellement entre Israël et le Hamas (et plus largement les populations et combattants palestiniens). On verra sans doute dans les prochains jours quelles conséquences ils auront et leur influence sur les relations entre différents pays et groupes de pays concernés. Tout dépendra de l’ampleur des combats et de l’engagement de tierces parties dans le soutien à l’un ou l’autre des belligérants ou même dans les combats.

Il est probable que des tensions vont réapparaître entre certains pays du Proche et du Moyen-Orient en fonction de leur politique à l’égard de l’État d’Israël. Il est même possible que les BRICS en soient affectés dans la mesure où l’Inde a nettement pris parti pour Israël et que l’Iran et l’Arabie saoudite, qui vont entrer dans le club en 2024, sont sur des positions totalement différentes. Mais ne spéculons pas : la Russie et la Chine feront sans doute le nécessaire pour maintenir la cohésion de l’ensemble du point de vue économique qui est le seul qui compte dans l’état actuel du groupe.

Paradoxalement, c’est surtout dans le cadre de la guerre en Ukraine que le conflit israélo-palestinien va avoir une influence sur un théâtre d’opérations essentiel : celui de l’opinion publique aux États-Unis. Jusqu’à présent le lobby juif américain avait considéré la cause ukrainienne avec sympathie et s’était inscrit dans la logique de l’administration Biden de soutien inconditionnel à Kiev « for as long as it takes ». Le problème est que des informations concordantes rapportent qu’une partie des armes utilisées par le Hamas viennent d’Ukraine via le marché noir. Déjà en juin dernier, le Premier ministre Benyamin Netanyahou le révélait dans une interview au Jerusalem Post : « Nous craignons également que tous les systèmes que nous donnons à l’Ukraine ne soient utilisés contre nous (…). Et d’ailleurs, ce n’est pas une possibilité théorique. C’est en fait arrivé avec les armes antichars occidentales que nous trouvons maintenant à nos frontières. »

On ignore quelle est la quantité du matériel occidental livré à l’Ukraine et détourné vers le Hamas et d’autres groupes palestiniens, mais cela importe peu. Selon une explication plus ou moins officielle, ces armes viendraient des stocks que les Américains ont abandonné en Afghanistan. C’est sans doute en partie vrai, mais lorsqu’on connaît le niveau de corruption atteint en Ukraine et qu’il est établi que des équipements américains qui devaient servir contre l’armée russe tuent aujourd’hui des Israéliens, une bonne partie des juifs américains et de leurs soutiens dans les milieux influents de Washington, notamment le puissant Aipac (American Israel Public Affairs Committee), ne peut que s’interroger sur le bien-fondé de la poursuite de l’aide militaire à Kiev. Et cela quelques jours à peine après l’incident ignoble de l’ovation debout accordée par les députés canadiens à un « héros de l’Ukraine », un vétéran de la division Waffen-SS Galizien, qui a montré aux yeux du monde que les liens du régime ukrainien actuel avec les restants de l’idéologie nazie ne sont pas un fantasme.

Les doutes que les juifs américains peuvent avoir aujourd’hui à l’égard de l’Ukraine sont certainement renforcés par la situation politique américaine où l’administration Biden fait face à une résistance sans précédent au soutien qu’elle veut continuer d’apporter à Kiev. Un article du Telegraph londonien, le 6 octobre, met en lumière les défis auxquels Joe Biden est confronté, tant du côté des électeurs américains que du Congrès. Selon les auteurs, une certaine « fatigue de l'Ukraine » semble se répandre parmi les électeurs américains qui sont nombreux a estimer trop élevé le financement pour Kiev.

Mais les milieux politiques aussi semblent tout aussi « fatigues ». Ainsi, trois des quatre principaux candidats républicains pour la prochaine élection présidentielle ont promis de mettre fin ou de réduire le soutien financier à l'Ukraine. Sans compter que la récente demande Joe « anyway » Biden pour obtenir un autre paquet de 24 milliards USD d’aide à Kiev a été retardée en raison des conflits internes au sein du Parti républicain qui ont conduit à l’éviction de Kevin McCarthy de son poste de speaker de la Chambre des représentants.

Dans ce contexte difficile, si le très puissant lobby juif faisait entendre des doutes sur le bien-fondé de la poursuite du soutien militaire à Kiev au moment où Israël est en danger, il est probable que le non moins puissant lobby ukrainien aux États-Unis (et au Canada), aujourd’hui fragilisé, serait incapable d’activer efficacement ses relais en faveur de la poursuite de l’aide, alors que le doute s’est installé au Capitole.

À bien y réfléchir, la reprise des hostilités en Palestine peut offrir une porte de sortie inespérée à l’administration Biden pour se tirer de ce qui apparaît de plus en plus comme un nouveau bourbier, non plus militaire, mais politique et financier, dans lequel les Américains se sont enlisés, cette fois en Ukraine.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique