Wagner : Pourquoi n’écoute-t-on pas ce que dit Vladimir Poutine ?
Vladimir Poutine, Iounous-bek Evkourov et Andreï Trochev au Kremlin le 28 septembre

Wagner : Pourquoi n’écoute-t-on pas ce que dit Vladimir Poutine ?

Il est difficile d’expliquer un curieux paradoxe : il est courant, à l’ouest, de considérer le président Poutine comme un terrible autocrate et pourtant personne ou presque ne semble prêter attention aux décisions qu’il prend, comme si ses paroles devaient rester lettre morte. L’actualité nous en donne un exemple éclairant avec la prétendue nomination, le 28 septembre 2023, d’Andreï Trochev dit Sedoï (le Grisonnant) à la tête des soldats du Groupe Wagner en Ukraine. « Prétendue » parce que, en réalité, cette nomination a été annoncée trois mois plus tôt, le 29 juin, et elle est devenue effective très vite après cela, le 14 juillet, comme nous l’indiquions dans l’un de nos précédents articles.

C’est, en effet, le 29 juin 2023 que s’est tenue la célèbre réunion entre Vladimir Poutine et les commandants du Groupe Wagner, y compris feu Evgueni Prigojine, pour tirer les enseignements de la mutinerie qui avait eu lieu cinq jours plus tôt, les 23 et 24 juin. À cette occasion, le président avait proposé que les combattants du groupe continuent de servir sous le commandement de la même personne qui avait été leur véritable commandant depuis seize mois et dont le nom de guerre était « Sedoï », en d’autres termes Trochev. Prigojine s’y était opposé sur le moment, mais il n’avait plus plus son mot à dire : il était déjà hors-jeu – même s’il faisait semblant de conserver de l’importance – et des enquêtes sur ses activités et son enrichissement furent lancées dans les jours suivants[1].

Visiblement l’annonce par le président de la fédération de Russie que le colonel Trochev allait diriger les combattants de Wagner est passée inaperçue – ou n’a pas été crue – tellement on cherchait un successeur plus célèbre, ou sulfureux, ou controversé qui prendrait sous sa coupe la totalité des activités du groupe comme si rien ne s’était passé (le général d’armée Sergueï Sourovikine était parmi les principales personnalités citées). Or on sait très bien depuis le mois de juillet que les activités militaires du groupe dépendent maintenant du ministère de la Défense, même si les caractéristiques propres « wagnériennes » de ces unités sont conservées, et ont été séparées des affaires de type SMP (société militaire privée) pour le soutien et la protection des gouvernements de pays étrangers, notamment en Afrique[2].

Voici donc un homme, Andreï Trochev, qui dirige officiellement les combattants de Wagner depuis la mi-juillet et que les médias – et certains spécialistes – découvrent aujourd’hui à la faveur d’une courte vidéo diffusée le 29 septembre[3], sur le site de la présidence russe (kremlin.ru) où on le voit en réunion avec Vladimir Poutine et le vice-ministre de la Défense Iounous-bek Evkourov. Le président commence son intervention en s’adressant à Trochev pour lui dire : « Lors de la dernière réunion, nous avons évoqué le fait que vous participerez à la formation d'unités de volontaires capables d'effectuer diverses missions de combat, principalement, bien sûr, dans la zone de l’opération militaire spéciale. » Et il précise : « Vous savez de quoi il s’agit, comment cela se déroule, vous connaissez les problèmes qui doivent être résolus à l’avance pour que le travail de combat se déroule de la meilleure manière et avec le plus de succès. »

Deux enseignements à tirer de cette courte séquence :

1) Si Vladimir Poutine fait référence à une réunion précédente, c’est bien que Trochev occupait déjà le poste qu’on lui prête soudain aujourd’hui, on voit mal sinon à quel titre il aurait été reçu.

2) La mission qui lui est confiée est de former des unités de volontaires sur le modèle des unités qu’il connaît (donc de Wagner). Cela signifie que les unités qu’il formera pour combattre « dans la zone de l’opération militaire spéciale » seront sous l’autorité de l’armée russe, puisque les SMP sont interdites en Russie et que les territoires où elles agiront se situent sur le territoire de la Fédération depuis leur rattachement l’année dernière. La présence du vice-ministre Evkourov est une claire indication de cela.

 

 

[1] Ces enquêtes, qui risquaient d’attirer l’attention sur certains de ses partenaires d’affaires, furent vraisemblablement la raison principale de sa mort dans le crash, vraisemblablement provoqué, de son avion privé, le 23 août 2023.

[2] Dans ce cadre, il est possible que le général Sourovikine, que l’on a vu récemment en civil dans une délégation officielle russe en Algérie, joue un rôle dans les activités de la SMP Wagner en Afrique. Cependant, étant donné son rang, il est beaucoup plus probable qu’il soit chargé superviser toutes les activités paramilitaires russes sur le continent africain, et peut-être même sur d’autres théâtres d’opérations. À condition évidemment que l’hypothèse de départ soit vraie.

[3] La présentation de la réunion indique que la réunion s’est tenue la veille au soir.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique