Ukraine : Déception en deçà de l’Atlantique, déception au-delà
Antonio Aguto : faute d'armes, on envoie un général !

Ukraine : Déception en deçà de l’Atlantique, déception au-delà

Du voyage en Amérique que Volodymyr Zelensky a effectué pour assister à la prestation de serment du nouveau président argentin, Javier Milei, sans doute ne lui reste-t-il qu’un goût âcre. Une caricature montre Milei répétant « No tengo dinero ! » (Je n’ai pas d’argent !) à un Zelensky insistant. Mais ce que voulait l’Ukrainien, c’était surtout d’avoir la possibilité de plaider sa cause auprès des chefs d’État présents à l’inauguration. Depuis le début de la guerre, les dirigeants sud-américains ont toujours refusé de l’entendre. Non pas vraiment par hostilité à l’égard de l’Ukraine mais par défiance à l’égard des États-Unis. Aucun, sauf le Paraguay, aligné sur Washington, n’a appliqué les sanctions américaines et européennes contre la Russie. À l’occasion de cette visite, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a exprimé le sentiment général en refusant catégoriquement de recevoir le solliciteur.

Il est peu probable que Zelensky ait été réconforté par l’invitation impromptue de Joe Biden à venir le rencontrer à la Maison Blanche, le 13 décembre, sur le chemin de son retour à Kiev. Alors que la Chambre des Représentants refusait de voter une nouvelle enveloppe d’aide à l’Ukraine de 61 milliards USD, il devait bien se douter que le président américain n’avait pas de très bonnes nouvelles à lui communiquer. Derrière les propos laudateurs et les démonstrations d’affection, le message présidentiel a été plutôt abrupt : « Nous continuerons de fournir à l’Ukraine des armes et de l’équipement essentiels aussi longtemps que nous le pourrons, y compris les 200 millions de dollars que je viens d’approuver aujourd’hui[1]. » Ne doutons pas que ce « as long as we can » a certainement fait l’effet d’une douche froide à un homme habitué à entendre depuis près de vingt mois « as long as it takes » (aussi longtemps qu’il le faudra). Or, depuis le 11 octobre, date à laquelle l’amiral John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, a vendu la mèche, on savait que, sur le financement de l’Ukraine, les États-Unis approchaient du « bout du rouleau ». En clair, les propos présidentiels signifient que le bout est désormais atteint.

Un signal sans équivoque a été donné par l’annonce en grande pompe, le 13 décembre, de l’envoi en Ukraine du lieutenant général Antonio Aguto, de l’US Army, avec pour tâche d’améliorer la qualité des conseils fournis à l’Ukraine pendant l’offensive d’hiver. En substance, faute d’armes et d’argent, on envoie un général… Mais il faut se garder de voir un changement majeur dans la stratégie américaine : depuis décembre de l’année dernière Aguto commande le Groupe d’Assistance à la sécurité en Ukraine (Security Assistance Group–Ukraine – SAGU), une formation interarmes (terre, mer et marines) cantonnée à Wiesbaden en Allemagne. En réalité, l’annonce signifie simplement que le général passera plus de temps en Ukraine.

Mais les déconvenues de Zelensky ne s’arrêtent pas aux États-Unis. De ce côté de l’Atlantique aussi, l’Union européenne lui envoie de mauvais signaux. Lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre, les pays membres n’ont pas approuvé le soutien financier prévu pour l'Ukraine de 50 milliards EUR pour quatre ans, jusqu'en 2027. En théorie, tous les pays étaient pour, sauf la Hongrie qui a mis son veto. Cet « en théorie » signifie que quelques pays qui n’étaient pas forcément d’accord ont profité hypocritement de la position du Premier ministre Victor Orbán, qu’ils savaient inébranlable, pour éviter de se singulariser en rompant, eux aussi, le prétendu consensus européen d’aide inconditionnelle à Kiev, que l’on sait être un puits sans fond pour les finances occidentales, déjà exsangues.

En compensation, les 26 pays officiellement partisans du paquet d'aide ont accepté de reprendre des négociations en janvier pour s’engager financièrement en faveur de l'Ukraine, mais de manière bilatérale, plutôt que dans le cadre du budget de l'UE. Dans ces conditions, il est fort à parier que le montant de 50 milliards sur quatre ans fondra comme neige au soleil. D’autant plus que, au train où vont les choses, on ignore si le régime ukrainien sera capable de survivre au-delà de cet hiver.

À l'approche de la réunion, Victor Orbán s'était engagé à bloquer aussi l'ouverture des négociations d'adhésion de l’Ukraine à l’UE. De manière habile, il a quitté la salle de réunion juste avant le vote sur ce point, permettant ainsi aux autres pays de faire miroiter à l’Ukraine la perspective de rejoindre l’Union à plus ou moins long terme. Le chancelier fédéral allemand Olaf Scholz a plaisanté en prétendant que, juste avant le vote, il avait demandé au Hongrois d’aller prendre un café. Il est probable que cette absence était prévue car Orbán ne tenait sans doute pas à se singulariser davantage. D’autant plus que, en elle-même, l’ouverture des négociations n’engage à rien. Chacun est bien conscient que le processus nécessitera l'approbation unanime du Conseil à de nombreux moments et qu’Orbán pourra les mettre à profit. De plus, les négociations risquent d’être d’autant plus longues que l’Ukraine est loin de répondre à la totalité des critères exigés pour l’adhésion.

Dans ce contexte, la question du soutien militaire à Kiev a été escamotée. À mesure que les pays européens prennent conscience de leur faiblesse dans le domaine de l’armement, ils deviennent de moins en moins enclins à fournir des équipements dont ils se disent – car ils comprennent bien le rapport des forces – qu’ils seraient incapables de changer la donne sur le terrain. Et si les États-Unis décident de ne soutenir l’Ukraine qu’autant qu’ils le pourront, les Européens ne sont visiblement pas disposés à reprendre le flambeau une fois qu’ils ne le pourront plus, c’est-à-dire bientôt.

L’entourage de Joe « no we can’t » Biden pensait que le rôle de président de guerre favoriserait la réélection de ce dernier et comptait faire durer le conflit ukrainien de manière à se glorifier d’une quelconque victoire[2] même illusoire. Évidemment, la situation en Palestine, au Yémen et plus largement dans le Golfe persique offre la possibilité de faire prendre au président des postures guerrières, de déployer dans la zone des porte-avions et leurs groupes navals et même d’expédier des marines se battre contre les Houthis. C’est beaucoup plus télégénique qu’une guerre d’attrition au cœur de l’Europe où ceux que l’on présente comme les gentils se font laminer.

 

 

[1] “We’ll continue to supply Ukraine with critical weapons and equipment as long as we can, including $200 million I just approved today.”

[2] Ou même simplement d’avoir tenu tête à la Russie que l’on présente aujourd’hui comme une puissance hégémonique menaçant l’Europe alors qu’on disait il y a peu de temps qu’elle était un pays failli qui avait déjà perdu la guerre.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique