Idiocracy : De la crise politique aux bateaux et missiles fantômes, nous y sommes !
Et ils croyaient que cela pourrait passer...

Idiocracy : De la crise politique aux bateaux et missiles fantômes, nous y sommes !

En France, la dégringolade se poursuit et rien ne semble pouvoir l’arrêter ! Comment le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Sébastien Lecornu pouvaient-ils penser une seule seconde que le retour au gouvernement de l’homme qui était certain de provoquer l’effondrement de l’économie russe se passerait bien. Rappelons-nous : c’était le 1er mars 2022 et le ministre de l’Économie d’alors, Bruno Le Maire, expliquait d’un air à la fois martial et professoral que les sanctions étaient d’une efficacité redoutable et que la Russie serait incapable d’y faire face. « Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », disait-il sans préciser qui était le « nous » en question : le gouvernement français tout seul ou « les États-Unis et l'Europe ensemble [qui] sont de très loin le Continent économique financier le plus puissant de la planète. »

À un moment, dans la Salsa du Démon, les chœurs du Grand orchestre du Splendid s’écriaient « Horreur ! Malheur ! ». Nous y sommes. Trois ans et demi plus tard, l’homme qui, entre 2017 et 2024, a grandement contribué à l’effondrement… de l’économie française était de retour au gouvernement ! Lui qui avait promis de se retirer de la politique n’a pas pu résister à l’appel du maroquin. Et Messieurs Macron et Lecornu n’ont trouvé aucun autre suicidaire pour occuper le poste de ministre d'État, ministre des Armées et des Anciens Combattants, agitant ainsi un chiffon rouge sous le nez des Républicains qui ne pouvaient laisser passer l’outrage. Il arrive toujours un moment où les artifices mille fois utilisés atteignent leurs limites.

On attribue souvent à Albert Einstein cette définition : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. » Il est peu probable qu’il ait réellement prononcé cet aphorisme, même s’il apparaît frappé au coin du bon sens. En revanche, dans une lettre de 1949 au psychologue Max Born, le célèbre savant écrivait : « La grande difficulté pour les hommes ne réside pas dans l'acceptation de nouvelles idées, mais dans l'abandon des anciennes. » C’est sans doute la grande tragédie de nos hommes politiques : ils ne sont pas fous mais, incapables de se remettre en cause, ils finissent par être totalement dépassés. Comme dans le film satirique et prémonitoire Idiocracy, ils s’entêtent à vouloir enfoncer des objets carrés dans des trous ronds : on prend les mêmes et on recommence en espérant un miracle.

À cela s’ajoute un phénomène qu’Einstein avait bien identifié et se le rapportait à lui-même. Dans une lettre de 1951, il écrivait : « Avec la gloire, je deviens de plus en plus stupide, ce qui est bien sûr un phénomène très courant. » À force de se croire supérieurs, les dirigeants ne font même plus l’effort de se remettre en cause et croient maîtriser les événements en leur appliquant des grilles de lecture surannées qui les poussent à prendre, sans s’en rendre compte, des décisions stupides. Ainsi, en 2022, lorsque Monsieur Le Maire prêtait aux États-Unis et à l’Europe une puissance économique et financière « de très loin » supérieure au reste de la planète, il appliquait un schéma des années 1990 qui n’était plus vrai au moment où il parlait, comme ces dernières années se sont chargées de le lui rappeler.

Le volontarisme du président de la république faisant arraisonner manu militari, dans les eaux internationales au large de Saint-Nazaire, un pétrolier de la prétendue flotte « fantôme » russe procède de la même perte de sens commun. Non content de se lancer dans une opération visiblement stupide, Emmanuel Macron la justifie en évoquant des « comportements agressifs » de l’équipage du bateau. Comme si un mastodonte de près de 250 mètres non armé pouvait menacer une frégate de la Royale. Bref, comme les enquêteurs n’ont rien trouvé à bord et que le bateau était en règle, le capitaine chinois du navire a été inculpé d’une vulgaire infraction (« refus d’obtempérer ») et ramené à bord, à charge pour lui de se présenter au procès, l’an prochain. Et le tanker a repris sa route sous le regard hilare de la presse de ce monde non-occidental qui prend de plus en plus d’importance à mesure que l’Europe sombre dans le ridicule.

Car ce n’est pas seulement le président Macron qui fait parler de lui dans un registre de dérision, les principaux dirigeants européens sont atteints du même syndrome : Ursula von der Leyen et son brouillage de GPS inexistant ou encore Friedrich Merz qui continue de voir la main de Moscou derrière les « drones volants non identifiés[1] », même là où les distances rendent la chose impossible, et alors que les cas élucidés montrent que les coupables identifiés n’ont rien à voir avec la Russie. On pourrait multiplier les exemples (et nous ne nous en sommes pas privés dans nos précédents articles), mais il convient ici de se pencher sur un cas très particulier qui focalise – sans raison valable – l’attention internationale depuis plus d’une semaine : l’affaire des missiles Tomahawk, l’arme miracle, le game changer, dont les milieux atlantistes espèrent la livraison prochaine à l’Ukraine.

Missile TomahawkAvec une portée de 1 600 à 2 500 km, les Tomahawk (fabriqués par Raytheon), fleurons de l'arsenal américain depuis les années 1980, sont des projectiles subsoniques qui peuvent être lancés depuis des navires, des sous-marins ou des plateformes terrestres. À partir du sol ukrainien, ils seraient susceptibles d’atteindre Moscou, Saint-Pétersbourg et une très large partie de la Russie européenne. Pour cette raison, Volodymyr Zelensky demande depuis longtemps aux États-Unis de lui en livrer. Ce fut le cas en septembre 2024 dans le « Plan de victoire » qu’il présenta lors de l’Assemblée générale des Nations unies. L'administration Biden refusa en raison des risques d'escalade.

Un an plus tard : bis repetita. Le 26 septembre 2025, lors d'une rencontre en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, le dirigeant ukrainien réitéra la demande auprès de Donald Trump. Le 28 septembre, le vice-président J. D. Vance confirma sur Fox News que Washington examinait plusieurs demandes européennes pour des Tomahawk qui seraient transférés à Kiev. Dans la foulée, le général à la retraite Keith Kellogg ajouta que le président Trump allait autoriser des frappes dans la profondeur en Russie. Il n’en fallait pas plus pour que la presse occidentale s’emballe en retrouvant ces accents victorieux qui, tant de fois précédemment, s’étaient fracassés sur le mur de la réalité. À écouter les émissions et lire les articles, ça y était : l’espoir changeait de camp et le combat changeait d’âme. Sauf que, cette fois, tout bien considéré, l’Horace ukrainien ne poursuivait qu’une chimère.

Dès le 2 octobre, des sources au Pentagone firent retomber l’enthousiasme. Elles indiquèrent que le transfert de Tomahawk était peu probable : les stocks (55-90 missiles produits par an, à 1,3 million USD l'unité) étaient « engagés pour la Navy et d'autres usages ». Mais même sans cette précision, il était clair que les missiles de croisière de ce type ne seraient pas livrés à l’Ukraine. Pour le savoir, il suffisait de se poser une question simple : en imaginant leur livraison à Kiev, à part les stocker dans un hangar, que pourrait bien en faire Volodymyr Zelensky ? Car, pour lancer des missiles, il faut des lanceurs. Or l’Ukraine n’en dispose pas.

Les missiles Tomahawk sont optimisés pour être lancés par des navires de surface de l’US Navy – destroyers (classe Arleigh Burke) et croiseurs (classe Ticonderoga). Ils peuvent être également délivrés par des sous-marins d’attaque (classes Virginia et Los Angeles) ou des SNLE (classe Ohio). Il existe aussi des plateformes terrestres, plus récentes et mobiles, comme le système Typhon, développé par Lockheed Martin, mais ils sont encore en phase de tests avancés. Quant aux plateformes aériennes, aucun bombardier stratégique actuel n'est pleinement adapté pour les Tomahawk en service opérationnel.

Bref, à cette date, l'Ukraine ne possède aucun système de lancement compatible avec les Tomahawk. Elle ne dispose pas des infrastructures navales nécessaires (destroyers ou sous-marins adaptés), ni de plateformes terrestres. Ainsi, même si des missiles étaient fournis, leur utilisation serait impossible. La seule possibilité d’emploi serait qu’un pays tiers (États-Unis ou membre l’OTAN) accepte de les lancer depuis ses navires ou son territoire pour le compte de Kiev. Mais cela reviendrait à déclarer la guerre à la Russie. D’où le refus de l’administration Biden de les fournir l’an dernier. Quant à Donald Trump, il est difficile de croire qu’il puisse donner un feu vert qui représenterait une implication d’autant plus directe des États-Unis dans la guerre que seuls des techniciens étatsuniens peuvent assurer la maintenance, le ciblage et le guidage des Tomahawk. Un minimum de réflexion suffit à démonter une histoire montée comme un soufflé dont la seule utilité est de montrer aux opinions publiques – et à une bande de dirigeants crédules – qu’il faut continuer de financer et d’armer l’Ukraine car, c’est sûr, cette fois elle va gagner.

Pour aller dans le sens de ce narratif, la presse a rapporté que les États-Unis allaient fournir à l’Ukraine des renseignements sur des cibles énergétiques loin à l'intérieur du territoire russe. Mais, là encore, pour démystifier l’information, il suffit de se poser une question : comment font les drones ukrainiens pour bombarder leurs cibles très loin en Russie, parfois à des milliers de kilomètres ? Au doigt mouillé ? En lisant dans le marc de café ? Non, évidemment, mais grâce aux renseignements fournis par les agences occidentales au premier rang desquelles les organismes étatsuniens et britanniques. Ainsi, la phrase selon laquelle les États-Unis « allaient fournir » des renseignements devait être écrite au présent : ils en « fournissent », et depuis fort longtemps. Le pire est que cette simple vérité a été rapportée à de nombreuses reprises depuis le début de la guerre sans que, visiblement, elle atteigne les neurones des journalistes concernés.

En 1939, dans un discours à l’Université de Princeton, Einstein dressait déjà un terrible constat : « L'école a échoué non seulement parce qu'elle n'a pas su développer le sens critique, mais aussi parce qu'elle a étouffé la curiosité naturelle. » Près d’un siècle plus tard, la situation ne s’est pas arrangée et la descente occidentale vers l’Idiocracy devient chaque jour plus rapide. À l’aube du XIXe siècle, Friedrich Schiller écrivait déjà : « Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain ! »

 

 

[1] J’emprunte cette expression à Hervé Carresse.

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique